Un livre qui réfute la tactique de la non-violence comme seule méthode utilisable dans une lutte. L'auteur ne prône pas la violence à tout prix, mais l'idée qu'il ne faut pas s'en priver. Ce livre a été écrit en 2007 par un auteur âgé de 25 ans et traduit en français en 2018, ce qui explique qu'il manque des exemples de luttes récentes. Je ne sais plus par quel canal j'ai eu connaissance de ce livre, mais il m'a intéressé, car la non-violence est au cœur des combats climatiques français de ces dernières années et, à la vue des images de l'oppression policière subie malgré tout par ces pacifistes (exemple), je m'interrogeais sur la pertinence d'une telle stratégie. Le débat activisme violent contre activisme non-violent n'est pas nouveau : il émerge dans les années 1960 (on en trouve même trace dans la chanson Cheveux longs et idées courtes de notre Jojo national) avant de prendre son envol dans les combats climatiques au début des années 2000.
Avant de commencer, il faut constater que personne est d'accord sur la signification des mots. Qu'est-ce que la violence ? Comptabilise-t-on uniquement la violence physique ou psychologique ? Comptabilise-t-on la violence contre des objets (une vitrine, par exemple), car après tout, elle exerce une violence psychologique sur le propriétaire de l'objet ? Si l'on prend en compte tout ce qui blesse ou provoque une douleur, alors un accouchement est violent. Si l'on prend en compte uniquement ce qui ne serait pas naturel et résulterait d'une décision de l'homme, on rappelle que la nature est violente (exemple 1, exemple 2, via SebSauvage), donc que ça ne tient pas. Si l'on examine les considérations morales des conséquences, alors ce qui est violent dépend de la morale du jour et de chacun (certains trouvent violent de payer des impôts, qu'ils assimilent à un vol organisé), et alors l'échec de la non-violence à faire stopper la violence des dominants peut également être interprétée comme de la violence. L'auteur se gardera bien de préciser quelle définition il retient… Deuxième terme, qu'est-ce que l'efficacité d'une lutte ? Là encore, c'est subjectif. L'auteur considère que le combat pour l'indépendance de l'Inde est inachevé car l'Inde est toujours le terrain de jeux de multinationales occidentales. Même chose pour le combat pour les droits civiques des Noirs aux USA : l'égalité complète n'est toujours pas acquise. L'auteur étant anarchiste, tant qu'un combat non-violent n'est pas parvenu à éliminer totalement une oppression, alors il est vain. En revanche, l'auteur félicite n'importe quelle avancée d'une lutte armée, quand bien même son résultat est mitigé ou temporaire (l'exemple le plus frappant concerne les Brigades rouges auxquelles l'auteur attribue la réintégration du Parti Communiste au gouvernement - ce que ne voulaient justement pas les BR -, et quelques avancées sociales alors qu'elles étaient d'époque dans toute l'Europe de l'Ouest).
Le premier argument de l'auteur est que les pro-non-violence falsifient l'histoire en omettant l'impact des luttes armées conjointes à des mouvements pacifiques. Ainsi, les causes auraient triomphées uniquement grâce à la capacité de leurs défenseurs de souffrir avec dignité. On attribue l'indépendance de l'Inde à la seule non-violence de Gandhi, en oubliant la lutte armée parallèlement conduite par l'Hindustan Socialist Republican Association (dont Bhagat Singh et Chandra Shekhar Azad étaient membres). On attribue la signature des traités de non-prolifération d'armes nucléaires aux manifestations pacifiques en oubliant les groupes qui ont commis des attentats comme Direct Action au Canada ou Marco Camenisch en Suisse. Quand on parle du combat pour les droits civiques des Noirs aux USA, on mentionne Martin Luther King en oubliant le Black Panther Party, la Black Liberation Army et des événements comme celui du 7 mai 1963 (et jours suivants) à Birmingham (3 000 Noirs se révoltent contre les violences policières, jettent des projectiles sur les flics et saccages leurs voitures. Après des semaines, la fin de la ségrégation dans les magasins de la ville est décrétée et la Civil Rights Law est votée). Quand on évoque le combat pour faire cesser l'apartheid en Afrique du Sud, on oublie que le prétendu pacifiste Mandela soutenait la lutte armée et qu'il a été impliqué dans des attentats à la bombe et la préparation d'un soulèvement armé. Quand on parle de la guerre au Vietnam, on pense aux gigantesques rassemblements aux USA pour la faire cesser et aux nombreux objecteurs de conscience, en oubliant l'efficacité au combat des viets, les mutineries (assassinats à la grenade d'officiers, sabotages, émeutes, etc.) au sein de l'armée américaine (le Pentagone a estimé qu'environ 3 % des officiers envoyés au combat ont été tués en interne…)., les 174 plasticages de campus universitaires en 9 mois, et les prises d'assaut de camps d'entraînement de l'armée et d'offices du gouvernement. Quand on évoque la deuxième guerre mondiale, on oublie le sabotage des usines et des trains, la révolte aux camps de Treblinka , Sobidor (qui seront fermés suite à ça), Auschwitz (un four crématoire y est détruit en octobre 1944), et la lutte armée dans les ghettos de Varsovie et de Bialystok durant des semaines qui contribuèrent à occuper l'armée nazie déjà à la peine sur le front de l'est). L'auteur égraine d'autres exemples. Bref, les grands événements mélangent tactiques violentes et non-violentes et il est difficile de dire quelles tactiques ont fait pencher la balance (s'il y a en…). Je retiens que, dans un débat, chacun, y compris l'auteur, choisi les détails des événements afin de l'emporter. Je préfère en retenir que la réalité est complexe et qu'il faut décortiquer chaque exemple énoncé à la va-vite.
Le deuxième argument est que les quatre grandes stratégies non-violentes ne fonctionnent pas (plus ?).
Le troisième argument est que la non-violence est l'un des mécanismes de défense des privilégiés. Par privilégiés, l'auteur désigne l'État, et les hommes occidentaux, ceux qui ont une petite vie tranquille basée sur une violence structurelle qu'ils ignorent. Pourquoi accepter la violence systémique et établie des dominants et refuser celle des opprimés ? Le but de ce baratin est de pacifier les opprimés afin de maintenir sa situation, ses privilèges. Ainsi, l'opprimé se voit intimer l'instruction d'attendre que les contestataires privilégiés atteignent une masse critique (car la protestation pacifique repose sur le nombre) pour être sauvé (on reconnaît le triangle dramatique). S'il veut, il peut distribuer des tracts et organiser des manifestations pour attirer la sympathie des privilégiés… Cela n'est pas accessible à ceux qui sont déjà exclus du système (exemple : employées qui enchaînent des boulots de misère donc qui disposent de peu de temps libre). Ceux qui utilisent la violence malgré ces bons conseils ne recevront pas les labels "bon Noir", "gentille femme" (qui fuit son mari violent alors que ça devrait être à lui de fuir), "bon citoyen", etc. qui leur octroieraient l'acceptation sociale. C'est moralisateur, paternaliste et ça participe à contrôler un mouvement (comme le Liberation Support Movement le fit, durant le combat pour les droits civiques des Noirs aux USA, en propageant l'idée que la violence n'est pas la solution). C'est en cela que le refus des moyens de lutte d'autrui quand ils sont violents protégent les dominants dont l'État, en privant les opprimés de légitimité. Tous les individus ou groupes sociaux n'ont pas la liberté de choisir la non-violence, car cela dépend du contexte à un instant T, chaque lutte étant unique : conseiller de désarmer les Indiens d'Amérique face aux colons, c'pas forcément un plan ; des catégories sociales sont plus souvent exposer au faciès, etc. Vouloir propager des moyens de luttes conformes à l'image confortable qu'un privilégié se fait d'une lutte, donc apprendre à l'autre comment lutter, comment lui apprendre à apprendre, c'est prendre sa situation comme une généralité, c'est prendre la grille de lecture qui découle de sa situation comme applicable partout, tout le temps, en faisant fi des différences. L'anti-autoritarisme, c'est d'accepter que des gens rejoignent la cause avec leurs moyens de lutte. Exposer que la violence décrédibilise les femmes relève d'une analyse qui oublie les Amérindiennes, les suffragettes, le sabotage des raffineries par les nigériennes, etc. Associer la femme à la non-violence confirme un rôle social genré. De même, exposer que la violence enlève sa crédibilité au Noir, c'est confirmer son statut social d'homme bestial. De plus, l'État a besoin d'une opposition loyale pour se justifier (qui croirait que tout le monde puisse être d'accord avec un seul ?). Il tolère donc la critique qui ne le menace pas (pétitions, manifestations non-violentes avec itinéraire qui dérange personne, consultations, référendum, etc.). Exemple : en 2004, à New York, le maire avait distribué des badges aux manifestants non-violents. Ceux-ci donnaient droit à des réductions sur le prix d'hôtels, de bouffe, de spectacles. Mais dès que ça sort des rails, olala. La violence fait peur, car nous n'en avons plus l'habitude, car nous avons """"collectivement"""" acté et admis l'emploi d'autres moyens pour régler nos différends (justice, manifestations, etc.). Mais, quand ces conventions sociales de résolution des conflits, présentes dans nos sociétés, dans nos familles, dans nos associations, etc. sont vaines, il apparaît nécessaire d'en changer, de monter d'un cran, et de potentiellement surprendre grâce à la violence, sinon on reste englué dans une contestation agrée par l'État (ou par la famille, les amis, etc.), donc gérée par le dominant. Quand la violence n'est plus en faveur de l'État, elle est dénoncée par celui-ci, comme en Irak ou les USA faisaient publier des articles semblant être rédigés par d'autres Irakiens demandant la fin des guérillas. Ou comme la marche sur Washington de 1963 pour les droits civiques des Noirs où des "chefs" Noirs furent appelés à la rescousse pour calmer les esprits et acheter la manifestation (liste des banderoles autorisées, choses à faire ou non, etc.).
Enfin, l'auteur argumente contre des clichés répandus sur l'activisme violent.
Comment l'auteur envisage-t-il les luttes et le monde post-révolution ? Les luttes doivent être radicales (contrer la source du problème, pas les divers symptômes). Elles doivent faire disparaître toutes les oppressions. On peut envisager des structures locales fédérées à un échelon supérieur. Il faut limiter la hiérarchie et, si elle est nécessaire, avoir des rôles tournants en fonction des compétences. Les organisations sont temporaires durant la révolution. Il convient d'adopter une diversité de philosophies, de modes de vie, de stratégies, avec une diversité des tactiques, violentes comme non-violente, en fonction du contexte précis. Il ne faut pas réprimer les autres courants de pensée de peur de la concurrence, car cela relève de l'autoritarisme de notre culture occidentale. Il faut s'unir sur un objectif (fin du capitalisme, par exemple), plutôt que sur une stratégie ou le type de tactique (violente / non-violente). Il faut faire grandir graduellement l'acceptation des tactiques violentes et/ou radicales, sans fétichiser la violence ni faire croire que le choix est vote ou bombe. Après la révolution, l'auteur imagine des petites communautés humaines qui s'organiseront comme elles le souhaitent. Il faut qu'elles soient petites afin que les membres puissent être d'accord entre eux et ainsi éviter l'apparition d'une structure (l'État) qui force les gens à être d'accord par coercition.
Je recommande vivement la lecture de ce bouquin très documenté, même si le style est lourd (l'impression de ne pas lire naturellement… - est-ce l'effet de la traduction ? -), les répétitions nombreuses et les termes pas clairement définis (voir ci-dessus).