Entretien avec Edwy Plenel, journaliste et fondateur de Mediapart.
Je suis fasciné par l'optimisme de cette personne. Des idéaux malgré les échecs / déceptions qu'il a connus… Il n'y a pas de fatalité, mais ce que nous faisons… « Il faut se battre sinon à quoi bon avoir vécu »… Il ne faut pas avoir de ressentiment (sur les riches, par exemple), même si une bataille est bien réelle. Je suis répulsé par ses "moi je, moi j'ai", "nous Mediapart, on a" permanents. C'est vraiment très pénible d'entendre cela pendant 1 h 30, surtout de la part d'une personne qui dit « il faut se méfier des personnes qui ne s'autorisent que d'elles-mêmes ».
Mes notes :
- L'enjeu, c'est le droit de savoir et le droit de dire. Si un citoyen ne sait pas ce qui est fait en son nom, les guerres, les décisions, ce qui est fait malgré lui, comme la corruption, alors le droit de vote est caduque, car il vote en étant privé de ses sens. Pour déterminer ce qui doit être publié ou non, il faut évaluer la légitimité de l'information et si elle a un intérêt public. L'intérêt public est reconnu par la jurisprudence et il est opposable à la vie privée, au secret-défense, au secret des affaires. L'information est libératrice ;
- Ces droits sont remis en question : loi secret des affaires, loi fausses nouvelles, journalistes tirés au LBD et frappés par les flics, journalistes convoqués aux renseignements intérieurs (DGSI) pour violation du secret-défense (affaire Benalla d'un côté, affaire de la vente d'armes utilisées au Yémen), Ruffin et Fakir espionnés par LVMH durant le tournage de Merci Patron !, etc. ;
- Les pouvoirs et les médias tentent de substituer le blabla des opinions à celle d'information (les éditorialistes blablatent en permanence de tout, etc.). Le blabla des opinions doit être mélangé au blabla des faits, sinon on se retrouve dans une situation où c'est mon opinion contre la tienne, qui dérive très vite en mon identité contre la tienne, mes supporters contre les tiens, et vlam la guerre de tous contre tous. Je suis d'accord, mais tout n'est pas appuyable par des faits genre « une meilleure répartition des richesses rendra tout le monde plus heureux » reste une opinion difficile à prouver (on pourra tenter des comparaisons avec les Trente-Glorieuses mais le contexte n'est pas identique, on pourra exposer que l'accroissement des inégalités au 20e siècle nous a conduit à des guerres mondiales, mais là aussi, le contexte n'est pas identique) ;
- Faut-il une sorte de conseil de l'ordre des journalistes ? Pourquoi faire ? Pour discuter les scoops avec les industriels propriétaires de média concernés par un scoop ? Attention, Plenel prend un raccourci : l'Ordre des médecins est apparu sous le régime de Vichy, mais c'était une vieille lune afin de de contrecarrer les charlatans puis les officiers de santé (médecins sans doctorat)… De là à ce que ça serve à repousser les médecins juifs, il n'y avait qu'un pas… ;
- Xavier Niels semble être entré au capital de la société des amis de Mediapart par l'entremise de Laurent Chemla, qui le connaissait ;
- L'Espionage Act de 1917 n'est pas une loi pour lutter contre l'espionnage, mais une loi pour lutter contre les adversaires politiques qualifiés d'espions, notamment, à l'époque, les communistes et les anarchistes ;
- Rappel : le procureur de la République de Paris, Remy Heitz, qui a ordonné, entre autres, la perquisition de Mediapart dans le cadre de l'affaire Benalla, a été nommé par Macron qui n'a pas tenu compte des candidatures poussées par le sinistère de la justice ni de l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature. Plus d'infos ;
- J'avais pas suivi la fin de l'histoire de la Pitié-Salpêtrière : un étudiant (qui n'avait pas participé au mouvement) poursuivi par les flics dans sa résidence universitaire du CROUS (proche de l'hôpital) puis frappé… Il n'a probablement pas la bonne couleur de peau et il n'appartient probablement pas à la bonne classe sociale. Plus d'infos ;
- Le RN/FN n'a jamais remis en question son héritage. Il y a une culture de l'antisémitisme, du rejet de l'autre. Quand tu cherches la biographie d'un cadre du parti, tu trouves des photos de soirées avec des saluts nazis ou autre… À l'opposé, le communisme aurait remis en question le stalinisme, même si, à mon avis, le stalinisme n'a rien à voir avec le communisme, il s'agit d'un dévoiement du communisme ;
- « Agis en ton lieu et pense avec le monde. Agis là où tu vis (société commerciale, ville, etc.) et pense avec le tout-vivant.
Je suis en désaccord sur plusieurs points :
- Pour moi, l'arrivée au pouvoir de Trump (et Macron et…) au pouvoir, n'est pas liée à la qualité de l'information. Je partage la comparaison de Schneidermann entre la deuxième guerre mondiale et aujourd'hui, mais pour moi, c'est une toute petite partie du problème. La """"bonne"""" information était disponible à date. Le vrai problème, c'est le manque de temps des citoyens pour s'informer. C'est le manque de passion aussi. L'actualité, c'est chiant et c'est déprimant. Elle illustre des comportements que le citoyen moyen ne pourra jamais se permettre. C'est démoralisant. Mieux vaut pratiquer une activité sportive, associative, baiser, etc. ;
- Je ne pense pas que la suppression de l'espace commentaires sur le site web de Libé ainsi que la suppression des blogs de M. ToutLeMonde et la restriction des commentaires chez Le Monde soit un problème. Le format (immédiatement sous l'article) encourage les comportements malsains (insultes, provocation, "moi grand sachant", etc.). Pour moi, le débat doit se faire sur des plateformes fédérées où chacun dispose de son espace d'expression personnel sur lequel il est responsable (et donc non censurable sauf décision de justice). Ça peut être des blogs avec un mécanisme de liens/rétroliens, par exemple. Avec la facilité de création d'un blog (Wordpress, blogger, etc.), il n'y a pas besoin d'un media participatif, il y a besoin de fédérer des expressions émises à différents points du réseau ;
- Je ne pense pas que les gauches doivent s'unir dans une recherche de l'égalité et de la sauvegarde de l'environnement. Les manières d'y parvenir sont quand même radicalement différentes entre le PS, FI et le PC, par exemple (croissance verte versus fin du capitalisme versus changement de modèle). Faire une union de tout ça produira forcément des luttes internes et des déceptions après l'union de façade. Je pense qu'il est plus sain que chaque courant existe et que le citoyen fasse son choix plutôt que de donner sa voix à un gloubi-boulga d'idées qui le décevra ("j'avais voté pour la fin du capitalisme, moi, pas pour une croissance verte !") et qui parviendra à rien. Je sais que certains citoyens aimeraient un unique choix "tout sauf les pourris actuels", mais ce n'est pas comme ça que ça fonctionne, la démocratie. Cette pensée simpliste "je veux me débarrasser de c'te merde" produira la même chose, le même pouvoir malade, d'autres """"pourris"""", quand bien même il s'agirait d'une union de courants de pensée gauchistes.