L'ARCEP a soumis à consultation publique l'analyse qu'elle fait du marché [ NDLR : des accès à Internet ] fixe. [...] Cette analyse du marché fixe est importante, car elle permet au régulateur des télécoms de constater les manquements du marché, les orientations à suivre et les décisions à acter.
Dans les grandes lignes, la Fédération a évoqué les sujets suivants :
- Montrer les biais de l'analyse faite par l'ARCEP : considérer le marché comme unique remède à tous les maux, ignorer les petits opérateurs en général, et tout modèle autre qu'industriel en particulier, centrer son analyse sur les opérateurs et pas sur l'utilisateur final ;
- Souligner le manque de concurrence sur la boucle locale fibre : l'abonné moyen a, au mieux, le choix entre deux opérateurs, quand tout va bien, aucune possibilité de nouvel entrant de petite taille : exclusions des opérateurs locaux, des associatifs ;
- Souligner que la boucle locale dite "mutualisée" est en fait un monopole local, sur une zone géographique, par une joint-venture de gros opérateurs qui s'entendent ; Proposer une obligation, pour ce monopole, de fournir une offre activée pour remédier l'absence de concurrence, permettre l'existence des petits opérateurs, et ouvrir le marché des entreprises vers la fibre optique ;
- Exposer les possibilités, en matière de déploiement de boucle locale, qu'offre le modèle mis en œuvre par la Fédération FDN sur la boucle locale radio et la boucle locale fibre.
Nous espérons que ce travail sera pris en compte par le régulateur afin de ne plus retarder l'ouverture du marché de la fibre optique en France.
J'avais déjà évoqué cette consultation et donné mon avis dans un autre shaarli : http://shaarli.guiguishow.info/?9VVNag . Je ne reviens donc pas sur la terminologie.
Ci-dessous, le contenu de la réponse de la FFDN avec plus de détails que le TL;DR ci-dessus.
Biais de méthodologie
- Le marché et la régulation sont des moyens, non une fin en soi. L'ARCEP devrait analyser et réguler en faisant un focus sur l'intérêt général. Or, ce dernier est totalement absent de l'analyse.
- Les petits opérateurs, ceux avec des chiffres d'affaires insignifiants, ne sont pas considérés par l'ARCEP alors qu'ils ont des avantages : proximité des abonnés, éthique, adaptation aux territoires et aux gens, savoir-faire de terrain, etc.
- L'analyse de la concurrence par l'ARCEP se focalise sur les opérateurs sans jamais s'intéresser aux abonné-e-s alors que cet angle fait apparaître des manquements de la régulation. Exemple, sur la fibre optique, l'ARCEP compare les parts de marché sans se demander : le jour du raccordement de son immeuble (construction du PM), est-ce que l'abonné-e a le choix de son opérateur ? Dans la théorie du cadre réglementaire, oui. Dans la pratique, non, il n'aura accès qu'à l'opérateur commercial dont l'opérateur d'immeuble intégré aura construit le réseau. L'opérateur co-financeur du réseau arrivera plusieurs mois après. Et l'abonné-e ne verra probablement jamais un troisième opérateur venir raccorder sa piaule.
- L'ARCEP a du mal à identifier quand il n'existe pas d'offre parce qu'il n'y a pas de demande ou parce qu'il n'y a pas d'offres. C'est typiquement sur les offres d'accès de gros allumées sur fibre optique : le régulateur constate qu'il n'y a pas d'offres dans les ZTD et ZMD-AMII tout en restant bloqué sur "peut-être qu'il n'y a pas de demandes ?" ! L'absence de ce marché est problématique en soi, je vais y revenir. Cela est donc un paravent que l'ARCEP installe devant elle pour éviter d'avoir à se bouger.
- En 2015, l'ARCEP a pris une décision en défaveur d'Orange qui facturer son offre LFO en fonction de l'usage qui en était fait par l'opérateur locataire. Genre Free Mobile qui veut collecter du trafic de la boucle locale cuivre ou fibre, c'est tel tarif. Par contre, si c'est pour collecter du trafic provenant d'une antenne de téléphonie, alors c'est plus cher. On voit bien ici que le but est de retarder Free Mobile ! Un opérateur doit être neutre. C'est le sens du règlement européen sur la neutralité des réseaux en ce qui concerne les accès Internet vendus au détail. Reste plus qu'à extrapoler ça sur les offres de gros. LFO, c'est fait. Reste génie civil et compagnie.
- Le débit montant est le plus important. C'est lui qui est le marqueur de nouveaux usages : TVIP 4k fluide, envoi de fichiers plus rapides, vidéoconférence qui saccade moins, etc. C'est pour cela que la FTTH n'a rien à voir avec du câble à 5 mbps d'upload.
- L'ARCEP se trompe quand elle analyse le marché pro sous l'angle des offres avec GTR : la GTR est une garantie. Les offres pros sont plus des offres avec des besoins et des services particuliers qu'une offre sur laquelle on appose une garantie et des pénalités en cas de son non-respect.
Offres d'accès de gros activées
- Elles permettent l'émergence et l'existence d'une grande variété de petits opérateurs ;
- Elles fluidifient le marché en cela qu'elles rendent possible et simplifient le changement d'opérateur par un-e abonné-e ;
- Elles évitent les monopoles / duopoles / oligopoles sur les boucles locales ;
- Elles sont source de revenus pour les opérateurs qui les proposent d'où un meilleur taux de remplissage des infrastructures de l'opérateur constructeur de la boucle locale ;
- Elles permettent d'éparpiller le savoir-faire, la connaissance des réseaux, l'ingénierie des réseaux partout en France au lieu que tout cela reste à Paris. La connaissance des réseaux est un indice de développement des territoires. Ce point entre dans la mission « aménagament des territoires » confiée à l'ARCEP par l'article 42-1 du CPCE.
- Expliquer que garantir l'ouverture du marché en offres de gros passives permettra l'apparition d'une offre de gros active est une mauvaise lecture de l'histoire. L'expérience de l'ADSL montre le contraire : des offres de gros activées sont apparues très tôt sur le marché. Tarder à forcer l'apparition d'une offre de gros allumée sur la fibre fera que les petits acteurs s'essouffleront et disparaîtront. Il faut une offre de gros activée sur chaque boucle locale optique dès aujourd'hui.
- Envisager l'émergence d'un troisième opérateur co-investisseur sur le passif qui proposerait une offre de gros activée est pas top : un seul acteur = monopole. Il vaut mieux apporter le terreau pour que plusieurs opérateurs soient en mesure de proposer des offres de gros activées. De plus, il est peu probable qu'un acteur émerge s'il sait d'avance qu'il sera régulé dès qu'il montrera le bout de son nez.
- L'idée de faire émerger une offre de gros activée sur la fibre spécialement pour le marché des entreprises est pas top : une offre de gros activée généraliste sur laquelle on peut greffer de la QoS, des services et des garanties sera plus adaptée car elle apportera de la souplesse (une même offre sur plusieurs marchés).
Boucle locale et mutualisation
- Les boucles locales (cuivre, fibre, câble, radio, etc.) sont des infrastructures essentielles et des monopoles de fait. Elle devrait donc être une propriété publique. Pour la culture, la Constitution de 1946 dit précisément cela, plus celle de 1958. On aurait donc une séparation claire entre les opérateurs de boucles locales et les opérateurs commerciaux. Cela va à l'encontre du credo de l'UE de concurrence par les infras mais cela éviterait les monopoles privés. La mutualisation est peut-être plus efficace mais elle entraîne ce problème.
- Le non-engagement de la puissance publique dans les ZTD et ZMD-AMII dès lors qu'un opérateur déclare y allait aurait dû être "échangé" contre une obligation, pour ces mêmes gros opérateurs, de venir sur les RIP.
Transparence
- Ça serait top d'avoir un système d'information (SI) sur le génie civil d'Orange mais aussi sur celui d'autres structures (collectivités, ErDF, etc.) permettant à un nouvel opérateur de savoir quelles sont les infrastructures mobilisables pour monter des boucles locales. Même chose pour les boucles locales optiques : avoir plus d'informations, de manière unifiée, ça serait top. Hé oui, y'a toujours cette idée d'un SI commun sur la fibre qui permet d'obtenir les opérateurs et les infras à partir d'une adresse.
- En prolongement, ça serait cool qu'utiliser le génie civil existant ne nécessite pas de commander des études préalables pour des choses que l'opérateur sait faire car si s'agit d'une barrière tarifaire à l'entrée. Les infos dont on parle dans le point précédent devraient être disponibles dans des formats ouverts sinon il s'agit d'une barrière technique et financière à l'entrée. Enfin, afin d'éviter une barrière réglementaire, ça serait top que l'ARCEP n'organise pas trouze-mille groupes de travail (et consultations, aussi :- ) auxquels seuls les services des gros opérateurs peuvent participer.
L'ARCEP ne doit pas se désengager du cuivre
- Le cuivre va perdurer plusieurs décennies dans des zones qui subissent déjà la fracture numérique de plein fouet. Dans le Calvados, par exemple, il est prévu de fibrer les derniers bleds en 2037 ! Sans compter que tous les gros chantiers ont toujours du retard. Il est très fort probable que l'ARCEP aura encore des différends à régler, de la régulation asymétrique à appliquer, etc.
- Se désengager trop tôt du cuivre amplifiera la fracture numérique : les zones déjà défavorisées subiront les défauts d'un marché non régulé en plus de l'absence de fibre. Cumul des inégalités et de la discrimination entre les territoires.
- C'est toujours dans les périodes de transition que les atteintes (commerciales ou aux droits) sont les plus fortes :
- Réduction du nombre d'opérateurs auxquels un particulier ou une entreprise peut souscrire. On a donc une réduction de la liberté de choix des gens ;
- Quand FDN ne parvenait pas à signer un contrat de collecte ADSL au début des années 2000, son nombre d'adhérents a fortement diminué. Sur la même période de nombreux opérateurs qui opéraient sur le bas débit sont morts ou ont fusionnés
Solutions de repli pour les territoires qui n'auront pas la fibre dans les 10 prochaines années
- 4G / satellite : débit partagé, ça ne permet ni les usages de demain ni même de produire et diffuser des contenus et services depuis chez soi. La latence du satellite exclut tous les usages interactifs.
- Effectuer de la montée en débit cuivre puis un fibrage revient plus cher que de juste déployer de la fibre. Sans compter que les collectivités territoriales qui auront financé de la fibre ne pourront pas financer de la fibre juste après.
- La fibre est la seule technologie qui supprime les disparités, les inégalités entre lignes : les caractéristiques (débit, latence), ne changent pas vraiment en fonction du nombre d'utilisateurs connectés simultanément ni en fonction de l'état de la ligne et de son ancienneté ni en fonction de la distance depuis le central téléphonique.
- Il faut envisager d'autres solutions palliatives mais ça nécessite de s'adapter aux territoires, d'arrêter de concevoir le réseau depuis un point donné du territoire en espérant que ça s'applique partout pareil. Il faut encourager les initiatives (associatives ou non) de construction de boucles locales radio / fibre. Le Wi-Fi point-à-point (unidirectionnel) permet des débits de 30 à 50 mbps symétriques, ce n'est pas à négliger. Il faut que les élu-e-s arrêtent de penser qu'il n'y a qu'Orange qui a le droit de déployer des réseaux de communications électroniques en France !
- Le fait de déployer des boucles locales n'empêche pas ces structures d'avoir recours à des offres de gros allumées qui peuvent servir à collecter le trafic et à le faire remonter jusqu'à un datacenter ainsi qu'à agir sur d'autres supports si ceux-ci sont plus adaptés à une zone géographique.