En septembre 2008, la Commission européenne publie le règlement qui encadre l'agriculture biologique. Dans le document, il est indiqué que, pour fertiliser ses sols, le paysan « bio » ne doit pas utiliser d'excréments provenant d'« élevages industriels », mais Bruxelles laisse le soin à chaque Etat membre de préciser ce qu'est un « élevage industriel ». Ce que font illico les Belges, les Néerlandais et les Allemands. Mais pas les Français.
Chez nous, l'Institut national de l'origine et de la qualité, qui réglemente les labels, dont l'estampille « AB », aura attendu dix ans pour, en décembre dernier, apporter la précision. A partir de janvier 2020, il sera formellement interdit au paysan français en filière bio de faire pousser son blé ou ses fraises sur un sol enrichi avec des matières organiques issus d'animaux « élevés en cage ou en système caillebotis ou grille intégral ». Ce qui concerne l'essentiel des poules pondeuses et la quasi-totalité des cochons. C'est là que le consommateur qui accepte de dépenser plus d'oseille pour acheter du bio, garanti sans pesticides ni engrais chimiques, découvre qu'une grosse partie des céréales, des légumes et des fruits poussent avec des fertilisants produits dans des porcheries et des poulaillers industriels.
C'est la panique chez les maraîchers, les céréaliers et les vignerons en agriculture biologique : où trouver l'azote pour engraisser le sol ? Rappelons qu'un agriculteur qui se convertit au bio perd jusqu’à 30 % de ses rendements quand il arrête les engrais chimiques. La Fédération nationale d'agriculture biologique a donc lancé un sondage auprès de ses adhérents pour évaluer les conséquences de la restriction. D'après les premiers retours, la moitié des fientes utilisées sortent de poulaillers industriels.
Au 1er janvier, ceux qui n'auront pas trouvé d’autres sources d'approvisionnement risquent d’être déclassés, c'est-à-dire interdits de vendre en bio. Un comble, alors que le gouvernement s’est donné comme objectif de doubler les surfaces cultivées en bio d'ici à 2022, pour atteindre les 4 millions d’hectares. La FNSEA, le principal syndicat agricole, qui compte bien désormais exploiter le filon du bio, sonne le tocsin. « On va multiplier par trois les importations de céréales, de légumes et de fruits bio ! » assure l'un de ses vice-présidents, Etienne Gangneron. A, zot alors !
Dans le Canard enchaîné du 17 avril 2019.