Le principe de la fiscalité internationale est que la richesse doit être imposée dans le pays où elle se crée. Mais où se crée la richesse ? Selon la conception soutenue par l’OCDE, que la France a suivie, une entreprise ne doit régler des impôts dans un pays que si elle y bénéficie d’un «établissement stable», c’est-à-dire d’une «base matérielle fixe» dans laquelle elle exerce une «activité». Son paradigme est que la création de richesse s’effectue là où est produit un bien ou un service, et non là où il se vend ou s’utilise.
Ceci réduit l’administration fiscale à l’impuissance face à l’économie numérique et plus généralement face à l’économie de services. Dans le domaine de l’économie numérique, produire n’est pas grand-chose, et la «production» peut se localiser n’importe où dans le monde, là où se trouvent les serveurs et les informaticiens. La création de richesse n’est plus là : un site ne vaut que par le nombre de ses clients, ou tout simplement de ses utilisateurs gratuits lorsque le profit repose sur la collecte de données numériques de type big-data. En matière de commerce on-line, les créateurs de valeur sont les clients, alors que, selon nos conventions fiscales, une activité de livraison en France n’implique pas un établissement stable. Ce sont parfois tout simplement les clics qui font les recettes, même si les «cliqueurs» ne paient rien, comme dans le cas de Google précisément.
Les GAFA échapperont à l’impôt en France tant que la France suivra le modèle de convention fiscale internationale établi par l’OCDE, qui retient la notion matérielle et productiviste d’établissement stable comme critère de rattachement des bénéfices, et donc de répartition entre Etats du droit d’imposer.
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La solution limitée consisterait à étendre la notion d’établissement stable pour y inclure la fourniture de services et la «présence fiscale numérique». En l’état actuel de nos conventions, si une société étrangère se borne à fournir des services dans un autre Etat sans y disposer des locaux de «production» de ces services, elle n’a pas d’établissement stable dans cet Etat. Pourtant, quelques rares conventions fiscales retiennent une définition plus large de l’établissement stable, en y incluant, même en l’absence d’installation fixe, la fourniture de services. Cette extension de l’établissement stable préserve le pouvoir d’imposition des pays consommateurs de services. L’OCDE y est farouchement hostile, considérant que les multinationales occidentales ont tout à y perdre.
La position de la France est alignée sur celle de ses partenaires de l’OCDE. Cependant, nos négociateurs ont dû céder devant l’exigence de certains pays émergents, et accepter cette extension dans nos conventions avec des pays tels que la Chine, Hong-Kong, la Colombie ou le Botswana. Si bien que, paradoxalement, la France adopte le point de vue «consommateur» avec les pays émergents, alors qu’elle conserve le point de vue «producteur» avec les Etats-Unis, pour qui nous sommes un pays de consommateurs. Nous sommes perdants sur les deux tableaux.
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La solution radicale consisterait à sortir du carcan de l’établissement stable. Il faut imposer les entreprises là où se réalisent les recettes. Le droit fiscal international pourrait s’inspirer… du droit fiscal américain : les sociétés étrangères sont imposables aux Etats-Unis dès qu’elles réalisent du «trade or business» sur leur territoire. Pourquoi ne pas imposer les entreprises américaines selon les principes américains ?
[…] Les pays industrialisés, réunis dans l’OCDE, ont fait prévaloir l’imposition dans l’Etat du siège, favorable à leurs entreprises multinationales ; inversement, les pays émergents militent en faveur de l’imposition dans l’Etat de la source, car c’est de plus en plus chez eux que ces multinationales vont chercher les consommateurs dont elles ont crucialement besoin. […]
Oooooook. Tout ça c'est donc du bullshit autour de la notion de répartition des richesses au sein des territoires ! Fiscaliser Google en France, ça signifie perdre des bouts d'impôts aujourd'hui dus par nos sociétés nationales mais qui ne le seraient plus demain ! Et on voudrait gagner sur les deux tableaux… ou à défaut être sur le tableau le plus rentable du moment. Oooooook.
Quand la France comprendra-t-elle qu’elle est de moins en moins un pays de producteurs et de plus en plus un pays de consommateurs, notamment dans le domaine de l’économie numérique ? On pourrait s’en inquiéter, mais non le nier. A défaut de parvenir à constituer des Google et des Amazon français, on peut se demander si notre politique fiscale internationale ne devrait pas suivre les options de l’ONU plutôt que de celles de l’OCDE auxquelles nous nous accrochons, moitié sous la pression des multinationales françaises qui craignent d’avoir à payer davantage d’impôts en Inde ou en Colombie (mais paient-elles beaucoup d’impôts en France ?), moitié par résignation.