Pas moins de huit journalistes ont été conviés, ces derniers jours, par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Et ce n’était pas pour prendre le thé mais pour les interroger sur leurs sources, alors même que la loi reconnaît à la presse le droit de les garder secrètes !
Les services et les magistrats du parquet sont sur les dents depuis que Disclose, « Quotidien », Radio France et « Le Monde » ont publié des informations gênantes sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et sur l’affaire Benalla. Dans le premier dossier, il s’agit d’une enquête pour « compromission du secret de la défense nationale » ouverte par le parquet de Paris et punissable de 7 ans d’emprisonnement.
Il est reproché aux confrères d’avoir diffusé une note classifiée de la Direction du renseignement militaire adressée au président de la République. Ce document prouve que les canons de 155 Caesar vendus par la France aux Saoudiens ont servi à bombarder des populations civiles au Yémen.
La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a justifié, sur Europe 1 (23/5), la convocation des journalistes, jugeant qu’il n’était « pas normal » qu’« une note classée secret-défense se retrouve dans la nature ». La vraie question est pourtant tout autre : était-il ou non légitime d’informer les lecteurs que nos « amis » de Riyad utilisaient l’artillerie made in France pour massacrer hommes, femmes et enfants ? Sibeth Ndiaye s’est bien gardée de la poser et d’y répondre…
+1 avec le Canard : ces questions sont, en effet, prioritaires. Est-il normal que la France vende ce type d'armes à ce type de pays ? Est-il normal qu'elle reste inactive quand elle détient les preuves que les armes vendues sont utilisées à mauvais escient (en admettant qu'il y ait un "bon" usage des armes…) ? Est-il légitime ou non que la presse informe le citoyen de la merde que les politiciens sèment dans le monde en son nom ? Tout ça est bien plus intéressant, et permet de relativiser le secret-défense.
« Le Monde » est ciblé, lui, pour avoir évoqué le rôle de Chokri Wakrim, un militaire des forces spéciales dont le nom est apparu à plusieurs reprises dans le dossier Benalla. Pas de bol : une loi de 20l6, votée sous François Hollande, punit de 5 ans de taule « la révélation ou divulgation de toute information qui pourrait conduire, directement ou indirectement, à l’identification d’une personne comme membre des forces spéciales ». En somme, il suffit que le premier venu soit affecté aux forces spéciales ou dans un service de renseignement (c’est la même loi) pour qu’il puisse faire les 400 coups sans que jamais les journalistes aient le droit de s’intéresser à lui**.
Une forme d'impunité inacceptable, en somme.
De quoi susciter bien des vocations…
Dans le Canard enchaîné du 29 mai 2019.