Au Luxembourg, on condamne bien les lanceurs d’alerte. Antoine Deltour, devenu le symbole des citoyens dénonçant des pratiques scandaleuses, a été condamné ce mercredi 15 mars par la cour d’appel à six mois de prison avec sursis et à 1 500 euros d’amende. Ancien employé du géant du conseil PriceWaterhouseCoopers (PwC) au Luxembourg, il est celui qui a permis de rendre publics quelque 28 000 documents décrivant près de 350 « rulings », ces accords fiscaux validés par l’administration, juste avant de démissionner de son poste en 2010.
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L’action des trois hommes, tous Français, a donné naissance au retentissant scandale « LuxLeaks », qui a mis au jour les juteux avantages fiscaux accordés par le Luxembourg aux entreprises désireuses de
s’installer sur son territoire. Des centaines de documents accréditant aux yeux du monde ce dont certains se doutaient depuis des années : Apple, Amazon, Ikea, McDonald’s ou BNP-Paribas bénéficiaient d’accords exorbitants (les fameux « rulings ») avec les autorités luxembourgeoises, qui leur permettaient de payer un montant d’impôt ridicule sur leurs bénéfices.[…]
Mais dans les faits, le symbole est terrible : sans Antoine Deltour et Raphaël Halet, le scandale n’aurait jamais vu le jour. Et il est peu probable que la Commission européenne aurait condamné les
accords fiscaux passés entre Fiat et le Luxembourg, comme elle l’a fait en octobre 2015. Ou qu’elle se serait penchée sur ceux qui lient le pays à Amazon, McDonald’s et Engie, au cœur d’enquêtes en cours.La décision de première instance était déjà paradoxale : le juge y reconnaissait que les deux hommes sont bien des lanceurs d’alerte, au service de l’intérêt général, mais il considérait que « l’intérêt public » de leur action était « insuffisant pour ne pas sanctionner pénalement ».
D’abord, elle a bien pris en compte « la cause justificative du “lanceur d’alerte” » pour acquitter Antoine Deltour du chef de violation du secret professionnel. […] C’est la première fois en Europe qu’un juge national estime qu’un salarié peut violer le secret professionnel si l’intérêt général en vaut la peine. »
[…] En effet, même s’il a été reconnu comme lanceur d’alerte, cela n’a pas suffi à le protéger du qualificatif de vol et de fraude informatique. Pour résumer, selon la justice luxembourgeoise, être un lanceur d’alerte peut justifier d’outrepasser le secret professionnel, mais pas de se servir de documents internes, qui étaient pourtant, dans le cas de Deltour, accessibles sur un serveur informatique à tous les salariés...
La décision d’aller en cassation n’a pas encore été prise, mais le jeune homme entend bien continuer à mener « le combat pour la justice fiscale » dans les semaines et les mois à venir.
Par ailleurs, la cour n’a pas reconnu la qualité de lanceur d’alerte à Raphaël Halet, dont les motivations paraissent pourtant similaires à celles de son ex- collègue. La décision insiste sur le fait qu’il n’a pas transmis à Édouard Perrin de « rulings », mais des déclarations fiscales d’entreprises plus banales. Ces dernières permettent pourtant de documenter l’impact de ces accords fiscaux secrets. Peu importe pour la cour, qui estime que « la faible pertinence des documents » dévoilés par Halet a causé « un préjudice à son employeur, supérieur à l’intérêt général, par leur divulgation », alors même que « le débat public »avait déjà été lancé.
[…] Les deux hommes ont été acquittés de l’infraction de violation du secret des affaires, « dont les conditions légales ne sont pas réunies ».
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Merci Slash.