Les systèmes de reconnaissance faciale sont de plus en plus prisés par les services de sécurité.
Souriez, vous êtes scanné ! Avec la mise en place des systèmes de reconnaissance faciale et des réseaux de caméras intelligentes, il va devenir difficile de faire la gueule. La Chine est aujourd'hui à la pointe avec son « réseau céleste » de 175 millions de caméras — bientôt 450 millions — couplées à des intelligences artificielles (IA) qui repèrent les contrevenants dans la foule. Plusieurs pays européens ont déjà commencé à tester ce type de système.
L’identification n’est pourtant pas une sinécure. Un test d'identification automatique de suspects par caméra effectué par la police britannique au cours du carnaval de Notting Hill en 2017 a donné 98 % d'erreurs, selon un rapport de l’ONG Big Brother Watch. Malgré tout, le programme britannique FaceWatch est en plein essor : les caméras de vidéosurveillance de plus de 10 000 commerçants sont connectées aux services de police.
CHAMPIONS. La publicité pour le système est sans équivoque : « Facewatch est une plateforme sécurisée qui utilise la technologie de reconnaissance faciale pour prévenir, decourager et protéger de manière proactive les entreprises contre le vol (…). Elle a fait ses preuves pour arrêter le crime avant qu’il ne se produise. »
La police britannique a obtenu quelques succès, mais modestes. A Cardiff, au pays de Galles, en mai 2017, un homme recherché a été interpellé lors de la finale de la Ligue des champions. Son visage, filmé par une caméra installée sur le toit d’une fourgonnette de police, a été identifié par un logiciel de reconnaissance faciale de l’entreprise japonaise NEC. Hourra !
En Allemagne, un test a été effectué dans le hall de la gare de Südkreuz pendant six mois, avec une base de données de photos « offertes » par quelques centaines de voyageurs volontaires. Le but était de vérifier la capacité des caméras du système à repérer les personnes enregistrées dans la base de données.
En France, officiellement, l'aéroport de Roissy — après avoir galéré avec ses bornes Parafe (« passage automatisé rapide aux frontières extérieures »), qui enregistraient les empreintes digitales des passeports — passe à l’identification faciale avec un nouveau système, vendu par Morpho (filiale de Safran), le fleuron français de la biométrie. L'engin scanne désormais la photo du passeport biométrique du voyageur pour le contrôler automatiquement. L’aéroport de Nice vient de faire de même. Mais se contenter de laisser une machine analyser une photo de passeport n’est pas à la hauteur du génie français, qui mise aussi sur d'autres technologies de détection du crime.
RIXE. Depuis les attentats de 2015, la SNCF teste un système de détection des comportements suspects par caméra de vidéosurveillance. La RATP vante, quant à elle, son système d'intelligence artificielle, qui, connecté à son réseau de caméras, peut — avec plus ou moins de succès — détecter automatiquement une rixe, un colis suspect, une intrusion dans un tunnel ou un mouvement de panique. Les fraudeurs ou les fumeurs hors zone autorisée devraient certainement se retrouver, eux aussi, détectés et tracés par l'IA du réseau de transport parisien, si la technologie continue de « tenir ses promesses ».
Le ministère de l’Intérieur, par la voix de son chef, Gérard Collomb, a annoncé cette orientation d'« IA comportementalistes » lors du « Bilan sur la sécurité 2017 » : « En matière d'exploitation des images et d’identification des personnes, on a encore une grande marge de progression. L’intelligence artificielle doit permettre, par exemple, de repérer dans la foule des individus au comportement bizarre. »
fiASCO. Le premier flic de France avait déjà exprimé son intérêt pour les technologies de surveillance à capacité prédictive quelques mois auparavant, dans une interview au titre évocateur : « A délinquan- ce numérique, réponse numérique ». A la question « Travaillez-vous sur des projets de police prédictive ? », le ministre s'était félicité de l’avancée des travaux sur le sujet : « Nous allons développer des outils d’aide à la décision (…), nous allons analyser les données avec de l’intelligence artificielle pour être encore plus efficaces. Une expérimentation a ainsi été lancée dans 11 départements. » La police prédictive, renommée « outil d’aide à la décision », est, en réalité, pour l'heure, un logiciel d'investigation — Morpho Video Investigator — qui relie le plus d’informations possible sur des suspects potentiels pour les suivre à la trace via les réseaux de caméras. La police française s'en est équipée en 2016.
Les systèmes de surveillance par caméra — pilotée par une intelligence artificielle — se spécialisent de plus en plus dans la prédiction des crimes et sont vendus comme tels aux gouvernements désireux de « prévenir le terrorisme, la délinquance et le crime ». Les aéroports américains ont implanté des réseaux de caméras de détection des « comportements terroristes » dans plusieurs aéroports depuis une dizaine d’années, et, malgré un fiasco qui ne se dément pas — avec des faux positifs en pagaille —, ils sont toujours en place.
Tout le monde est donc prévenu, en particulier la France, qui, avec son fichier biométrique Titres électroniques sécurisés (TES), lequel contiendra, à terme, les faciès de 60 millions de ses citoyens au format numérique, a une marge très importante dans la mise en œuvre d’une reconnaissance faciale automatisée de sa population. Avec tous les risques pour les libertés que cela soulève.
Dans le numéro 149 des dossiers du Canard enchaîné.