La quatrième de couverture de ce livre évoque l'analyse des injures (qui « renfermeraient des mystères »). Il n'en est rien, il y a des dictionnaires des injures pour ce faire. Non, ce livre nous expose ce qu'est une injure, dans quel contexte, quelles est sont ces utilités, etc. Malgré cela, ce livre est intéressant.
Mes notes :
- Existe-t-il une différence entre insultes et injures ? Il n'y a pas d'accord entre les linguistes. Le droit français reconnaît seulement les injures. Contrairement au juron, l'injure et l'insulte présupposent un destinataire, c'est toute la différence entre un « putain ! » ou « merde ! » (jurons) et « putain, va ! » ou « grosse merde, va ! » (injures). Les injures forment un ensemble de mots et d'expressions plus vaste que les insultes, car elles reposent sur l'interprétation de l'énonciation (« pauvre cloche ! » peut être vu comme une insulte ou comme une injure, car elle ne nécessite pas d'interprétation : « ta mère est plus souvent au bistrot qu'au boulot » est une injure, car il faut interpréter). L'injure peut être perçue comme étant plus intentionnelle que l'insulte dans la volonté de blesser autrui ;
- Les injures permettent de faire court quand il n'est pas possible d'établir un dialogue sur le temps long. Exemple typique : deux automobilistes s'injurent, car ils n'ont que quelques secondes pour échanger à propos de leur différend ;
- Les injures reposent sur des tabous, sur des non-dits. C'est pour cela qu'elles sont très souvent à connotation sexuelles. Les injures sont donc des marqueurs de l'évolution de nos sociétés ;
- Injurier peut être vu comme de l'anti-politesse, c'est-à-dire refuser le langage courant normé pour lui préférer, celui tout aussi normé, des tabous. D'où un petit côté « cool » quand cela est bien fait. De même, l'injure, tout comme le langage courant, permet d'identifier l'appartenance sociale d'une personne. Que dire de l'outrage envers le président de la République (qui n'existe plus depuis 2013) ? Un président peut poursuivre quelqu'un pour outrage tout en étant lui-même couvert de toute procédure pénale ;
- Injurier peut tout aussi signifier que l'on essaye de s'auto-convaincre de notre propre domination (ce qui explique, là encore, la connotation sexuelle de la majorité de nos injures). C'est le principe même de l'humiliation, objectif recherché des injures. De même, nos peurs transparaissent au travers les injures que nous disons : peur de la passivité (« pédé »), de la crasse (« salope », « grosse merde », « sale chien »), de l'inceste (« va niquer ta mère »), de notre animalité (« fils de chien », « sale chien »), de la liberté sexuelle d'autrui (« pédé », « fils de pute », « salope », « sale chienne »). À ce sujet, voir : « Et tout le monde s'en fout #9 - La salope » ;
- Une injure prend forme dans un contexte socio-culturel complexe : pays (un « sale chien » n'aura pas d'effet en Angleterre où le chien n'est culturellement pas perçu comme un truc crade qui doit rester en dehors du lieu de vie, « vache, va ! » n'aura pas d'effet en Inde où cet animal est vénéré) voire communauté (un « mange tes morts » ou « nique tes morts » sera perçu comme très véhément dans la communauté Manouche, compte-tenu de leur culture de grand respect des morts), temporalité (« démocrate » était une injure y'a encore 3 siècles), politique (« sale coco » fonctionne mieux aux USA qu'en France), etc. C'est l'habitus, qui doit être partagé entre l'injurieur et l'injurié, qui permet de distinguer ce qui est une injure ou non et de lui donner un sens. De même, des accords tacites ou non entre personnes peuvent rendre caduques des injures (injures sexuelles dans un contexte intime, « negro » quand c'est dit par un Noir, des mouvements sociaux ont repris à leur compte les injures proférées à leur égard, etc.) ;
- « pédé », diminutif de pédéraste signifiait pédophile. « salope » est la juxtaposition de « sale hoppe », « hoppe » étant le nom lorrain de la « huppe », un oiseau réputé comme vivant dans la crasse. « poulet » vient du déménagement temporaire de la préfecture de Paris durant la Commune (1871) dans une caserne construite sur l'île de la Cité qui est… un ancien marché volaillé, avant que nous transposions aux flics les préjugés que l'on prête aux volailles (manque d'intelligence) ;
- En droit français, le juge ne recherchera pas la véracité d'une injure, car ce n'est pas le sujet. Notons que la notion d'outrage envers des fonctionnaires met en exergue le fait que notre société considère que la fonction prévaut sur le reste.