Ce n'est plus le bac, c’est le paradis ! Ainsi Jean-Michel Blanquer a-t-il « vendu » aux élèves, dans une vidéo diffusée sur Twitter (10/12), sa réforme du plus célèbre des examens : « Avant, vous aviez le choix entre trois séries, qui ne prenaient pas assez en compte la diversité de vos profils et de vos envies dans la voie générale (…). Aujourd’hui, nous vous proposons de choisir trois enseignements de spécialité en première, puis deux en terminale (…), en fonction de vos goûts et de vos aspirations. » Alléluia !
L’égalité en option
Sur le terrain, toutefois, la réalité apparaît moins idyllique. D’abord, les élèves n’auront pas à faire leur choix parmi 12 spécialités, comme initialement annoncé par le ministre de l’Education —, mais, la plupart du temps, au sein du groupe composé des sept options les plus « classiques » (histoire-géo, maths, physique-chimie, sciences éco, humanités, langues et SVT). Le menu à la carte a perdu ses desserts en route !
Ensuite, alors que Blanquer promettait à la rentrée que les cinq spécialités restantes (le plus souvent artistiques…) seraient implantées « de manière à rendre plus attractifs les établissements qui en ont besoin » (« Le Parisien », 8/9), il est encore démenti par les faits. Bonne chance, par exemple, à l’élève de Seine-Saint-Denis souhaitant se tourner vers les spécialités théâtre, histoire des arts ou « littérature, langues et cultures de l’Antiquité » : le premier enseignement ne sera disponible que dans 7 lycées parmi les 112 de l’académie de Créteil, le deuxième dans 12, et le troisième dans 17…
« Les élèves des zones urbaines défavorisées et ceux des zones rurales n’auront que très peu accès aux options artistiques et aux langues vivantes hors anglais », dénonce Claire Guéville, du Snes, le principal syndicat du secondaire.
« C’est une catastrophe, renchérit Mélanie Goossens, professeure au lycée Mounier de Grenoble, car ces enseignements permettaient d’exceller à des élèves parfois fragiles dans des matières plus scolaires. » Dans son bahut, où le taux de boursiers est le plus élevé de l’académie (40 %), les options musique et arts plastiques seront supprimées à la rentrée prochaine.
Jolie façon pour Blanquer, comme il s’en est enorgueilli sur Europe 1 (16/12), de « réenclencher un cercle de confiance et de respect entre tous les acteurs de l’Education nationale ».
À Riberac, Dordogne, 4 000 habitants, la réforme du lycée, c’est pas du cinéma ! Depuis 2012,1e lycée Arnaut-Daniel propose une option facultative cinéma. Réalisation de courts-métrages, partenariat avec Arte, rencontres avec des réalisateurs (Bertrand Tavernier, Benoît Jacquot) ou un chef opérateur de Clint Eastwood, visites de la Femis… Et ça marche bien : de 21 élèves en 2012, l’option ciné est passée à 83 cette année.
Mais la réforme du lycée (lire aussi page 3) pourrait donner le clap de fin. Actuellement, les élèves d’enseignement général choisissent une filière en première (scientifique, littéraire, économique et sociale), puis passent le bac correspondant. Avec la réforme, un tronc commun et douze spécialités prendront le relais : sept classiques et cinq plus spécifiques, cinéma, notamment, lesquelles ne seront pas proposées partout. Le ministère de l’Education nationale fera attention à « soutenir les établissements les moins attractifs ou les plus isolés, avec une offre originale et diversifiée ».
De quoi réjouir le lycée de Ribérac ? Non. A sa demande d’ouverture de spécialité ciné, la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) a opposé un avis négatif. La raison principale ? Sa proximité avec Angoulême. Les lycéens intéressés par le cinéma n’auront qu’à faire 55 km (au prix de l’essence !), soit une heure de trajet. Ce qui fait sursauter Bertrand Tavernier, fervent soutien du prof qui anime la section cinéma : « Je trouve étrange de juger ce genre de sujet sur une carte, de manière kilométrique. »
Sans compter qu’à Ribérac l’aller-retour ne sera pas à la portée de tous, dans ce « lycée rural isolé avec des CSP (catégories socioprofessionnelles) plus défavorisées que les moyennes départementale et académique », ainsi que le relève le dossier monté pour obtenir l’ouverture de l’enseignement de spécialité.
Comme dans une quarantaine d’autres lycées connaissant le même genre de problème, les profs de Ribérac ont monté un collectif qui dénonce, entre autres, la « mise en concurrence des établissements entre eux ».
Un joyeux remake de « Règlement de comptes à OK. Corral » ?
Dans le Canard enchaîné du 19 décembre 2018.