« Les prévenus comparaissent comme des animaux en cage », « C’est le symbole de l’obsession sécuritaire ». De Nanterre à Clermont-Ferrand, d’Evry à Toulouse, les avocats se rebellent contre les verres qui désormais ornent, de haut en bas, les box des comparutions immédiates, dejà si charmants. Il s'agirait d’empêcher les agressions de magistrats et de prévenir les tentatives d’évasion, qui, en dix ans, se comptent sur les doigts d’une seule main.
En tête du combat, le Syndicat des avocats de France, qui, un peu partout, multiplie les assignations contre le ministère de la Justice afin que les cages soient supprimées. « A Nanterre, la semaine dernière, le tribunal a dû changer de salle… » plaide Fabien Arakelian, sous le regard du bâtonnier et des confrères. Ce jour-là, avec cinq prévenus dans le box étriqué et autant de policiers, impossible pour quiconque de s’asseoir. « Le président a demandé des chaises, mais elles ne passaient pas par les interstices. Il a donc décidé : “Ça suffit, on ne va pas les laisser cinq heures debout !” »
L’absurde ne s’arrête pas là. Les portes des box donnant sur la salle ont disparu avec le verre. Il ne reste que celles menant au dépôt. « Imaginez un incendie au dépôt : personne ne pourra s’échapper de ce piège, tout le monde brûlera, prévenus et policiers ! » Impossible, bien sûr, de faire venir le prévenu à la barre et, d’un tribunal a l’autre, les images sont les mêmes. Des gens en cage dont la voix ne passe pas les petits trous des vitres triple sécurité. Les juges ne les entendent pas, ils n’entendent pas les juges, pareil pour leurs avocats. « Il y a urgence, poursuit Arakelian. Tous les jours, des prévenus sont jugés en comparution immédiate, dans un box qui entrave leur libre échange avec les avocats, qui attente à la dignité et a la présomption d’innocence. »
Il faut, pour ceux qui ne l’ont jamais vu, imaginer ces personnages, sortis de garde à vue, passés par les geôles du palais, sans lacets ni ceinture, pas lavée, mal peignés. Déjà un peu inquiétants, déjà en dehors du monde normal. Les voilà, fantomatiques, encagés, leur bouche s’ouvrant dans le crachotement de mauvais micros.
« La personne jugée est extérieure à son propre procès, comme l’Etranger du roman de Camus. Il est dans un bocal, il est jugé à distance, décrit l’avocat Gérard Tcholakian dans la revue “Dalloz”. Ce qui est déplorable, c’est que tous, magistrats, avocats, justiciables, nous nous habituons à ces aménagements, nous ne voyons plus ce qui se passe dans nos palais, et nous finissons par accepter l’inacceptable. » En attendant, sans trop d’espoir, le résultat des assignations, avocats et clients continueront de hurler leurs secrets ou de se ployer pour causer tout bas à travers les trous qui leur sont dévolus.
Dans le Canard enchaîné du 6 décembre 2017.