Le 8 décembre, à l'intérieur du Palais, Macron s’était claquemuré, prêt à toute éventualité. A l’extérieur, 8 000 flics et gendarmes… et de vieux blindés hors d’âge.
Pour reprendre l’expression bravache utilisée lors de l’affaire Benalla, Macron a vraiment eu peur qu’« ils viennent [l]e chercher ». Face à la menace des gilets jaunes, le Château s’est transformé, le 8 décembre, en un véritable château fort — dispositif inédit dans l’histoire de la République ! La veille de la manif, le dircab de Macron, Patrick Strzoda, avait adressé à ses troupes un courriel demandant à ceux qui n’avaient rien à faire à l’Elysée de rester au chaud chez eux.
Ordre inverse a été donné aux militaires et aux policiers : 500 gardes républicains du premier régiment d’infanterie, plus une petite centaine de flics et de gendarmes du Groupe de sécurité de la présidence de la République ont rappliqué. Avec tout l’arsenal nécessaire, notamment des lances à eau, pour repousser d’éventuels assaillants, des drones, pour les voir arriver de loin, tandis qu’à l’extérieur un hélico était prêt à exfiltrer le chef de l’Etat. Ne manquaient que l’huile bouillante et les archers… Le palais présidentiel était isolé au centre d’un immense no man’s land, baptisé « bunker institutionnel », englobant le ministère de l’Intérieur, la place de la Concorde et l’Assemblée nationale.
Manu-tension
Malgré le péril, Jupiter, selon plusieurs témoins, est resté de marbre toute la journée. Et la journée fut longue.
De 7 heures à 23 heures, dans le salon des Ambassadeurs, une cellule de crise a été activée, avec des conseillers à la sécurité, à la com’ et même à la surveillance numérique. Croyant dur comme fer à une déstabilisation russe sur les réseaux sociaux, l’Elysée a d’ailleurs déclenché, le jour même, une enquête de la Sécurité intérieure.
A l’extérieur du Château, les grands moyens avaient aussi été employés. Plus de 8 000 flics et pandores dans Paris et, pour le spectacle, une charge de la police montée. Le clou était assuré par des blindés : les desormais fameux VBRG, les « véhicules blindés à roues de la gendarmerie ». Fantaisie relevée par des rapports de la Cour des comptes et du Sénat, que « Le Canard » a relus : ce matériel est hors d’âge. Heureusement, il vient d’être repeint. Sûrement pour fournir de belles images à BFMTV…
Comme un dernier Baroud' d'honneur, une dernière poilade, une dernière provocation ?
Comme le soulignent les sénateurs Philippe Paul (LR) et Yannick Vaugrenard (PS) dans leur rapport pour avis au projet de loi de finances 2019, « les VBRG ne sont actuellement maintenus opérationnels que grâce à la “cannibalisation” des matériels de réforme et [au] recyclage de pièces détachées ». Selon leurs calculs, il faudrait, pour renouveler le matériel, débourser 45 millions d’euros. Vite, une taxe sur les manifs !
Quatre mains arrachées par des grenades, trois personnes éborgnées par des tirs de flash-Bal, de nombreux manifestants frappés sans ménagement… Depuis le début du conflit, les flics n’y sont pas allés de main morte avec les gilets jaunes. Plusieurs dizaines de plaintes pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » ont été déposées.
A la suite de la manifestation parisienne du 8 décembre, durant laquelle plusieurs photoreporteurs ont par ailleurs été « mis en joue, pris pour cible, parfois intentionnellement, commotionnés ou molestés par les forces de l’ordre », quatre syndicats de journalistes ont demandé « des explications » au ministre de l’Intérieur et au préfet de police. Et puis quoi, encore ?
« C’est pour éviter tout malentendu que nous avons procédé à des interpellations préventives », ose une huile de Beauvau. Bilan comptable : 1 723 arrestations — dont 1 082 à Paris —, pour 904 gardes à vue ! Finalement, ce ne sont « que » 278 personnes qui ont été présentées à un juge.
Quelle déperdition…
Souvenons-nous de ce qu'est la sûreté et pourquoi les Constituants de 1789 ont trouvé vital de l'inscrire dans leur Déclaration des Droits de l'Homme : c'est la certitude que le roi ne peut pas enfermer quiconque selon son bon plaisir. Nous sommes en train d'y revenir dangereusement.
Dans le Canard enchaîné du 12 décembre 2018.