La France patine à établir ses responsabilités dans le génocide au Rwanda : peu de témoins entendus par la justice, juges successifs sous pression, secret-défense, etc.
À titre personnel, cela me rappelle l'opposition du député Alain Tourret, lorsqu'il était rapporteur de la loi de réforme des délais de prescription en matière pénale, à un article de loi ajouté par le Sénat qui rendait imprescriptible les crimes de guerre liés à des crimes contre l'humanité. Son argument était justement le Rwanda. D'une manière générale, le gouvernement conseille les rapporteurs. Cela va jusque-là, semble-t-il. Plus d'infos sur l'élaboration de cette loi de réforme des délais de prescription en matière pénale.
Pourquoi la chaîne de commandement politico-militaire à Paris n’a-t-elle pas donné l’ordre aux premiers soldats de l’opération « Turquoise » déployés dans l’ouest du Rwanda de stopper les massacres en cours dans les collines de Bisesero, où s’étaient réfugiés des milliers de Tutsis ?
Le 27 juin 1994, un détachement des forces spéciales croise des survivants hagards qui les supplient d’intervenir. Les militaires promettent de revenir au plus vite, mais ce n’est que trois jours plus tard que le sauvetage commence. Entre-temps, des centaines de Tutsis ont été exécutés…
Cela fait quatorze ans que la justice patauge. Le 16 février 2005, six survivants rwandais déposent une plainte devant le tribunal aux armées de Paris, avec le soutien de l’association Survie et de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Cinq juges se sont succédé depuis cette date. Cinq officiers supérieurs ont été interrogés avec le statut de témoin assisté. Le dernier juge en date, Michel Raffray, a clos l’instruction, sans avoir organisé de confrontation ni consenti à entendre deux survivants qui sont venus à Paris en juin pour les commémorations.
« Ma petite sœur Joséphine a été tuée le 28 juin et ma fiancée, Catherine, le 29. Si les militaires français étaient restés le 27, ces deux êtres chers seraient encore en vie », a témoigné l’un des deux survivants en question, Eric Nzabihimana, à la tribune d’un colloque commémoratif. La juge d’instruction qui a ouvert l’information judiciaire en 2005, Brigitte Raynaud, est venue témoigner des « obstructions » à l’enquête. Elle a préféré mettre fin à son détachement avec dix mois d’avance, en 2006 : « Les pressions se rapprochaient, j’avais une famille, des enfants, j’ai préféré partir dès lors que ma sécurité n’était plus assurée. »
Depuis qu’Emmanuel Macron a chargé, en avril, une commission d’historiens de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda, toutes les archives sont censées s’ouvrir enfin par magie. Mais uniquement pour les membres de cette commission, et pas pour les juges ! « C’est humiliant pour les juges d’instruction, qui, dans la procédure de Bisesero comme dans celles touchant des génocidaires vivant en France, se sont vu opposer le secret-défense sur des dizaines de documents ! » explique le président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, Michel Tubiana. Les avocats ont donc déposé une lettre de protestation sur le bureau du juge Raffray, qui a refusé, le 24 juin, de rouvrir l’enquête.
Ironie de l’histoire : s’il traîne encore deux ans, délai fixé par Macron a la commission pour remettre son rapport, le juge pourra le lire et sans doute y découvrir des documents classés secret-défense utiles à son enquête !
Dans le Canard enchaîné du 17 juillet 2019.