Voila une cochenille asiatique qui passe sa vie à baver sur les arbres. Si la femelle du Kerria lacca, qui s’épanouit dans les forêts tropicales, recouvre de ses sécrétions tout ce qu'elle touche, c’est d'abord pour protéger son nid. En séchant, la salive de cette fausse chenille donne une croûte visqueuse qui fait le bonheur de l'industrie agroalimentaire.
Récoltée sur le tronc des arbres, la précieuse bave est concassée puis purifiée par extraction à chaud à l’aide d'un solvant. La masse pâteuse ainsi obtenue est ensuite mélangée avec de l'alcool éthylique, métylique, butylique, amylique, de l'ammoniaque, de la soude caustique, de la potasse, du borax, des carbonates alcalins… — n’en ietez plus ! —, pour en faire une chouette gomme d'enrobage, de couleur orangée ou blond doré. On en retrouve un peu partout, jusque sur les bûches de Noël ! Une ]oyeuseté qui, sur les étiquettes, est pudiquement signalée « shellac » ou « E904 ».
C'est l'une des cachotteries pointées par Foodwatch. L'ONG, poil à gratter de l'agroalimentaire, a eu la bonne idée de sortir un catalogue « spécial arnaques de fêtes », où elle décortique 20 produits qui, du foie gras au saumon en passant par la bisque de homard, composent habituellement le menu des deux réveillons. Une hotte dans laquelle figure donc une bûche de chez Picard café-noisette… enrobée de shellac. La pâtisserie industrielle raffole de la salive de Kerria lacca, tout comme les confiseurs pour le glaçage des macarons, des chocolats et d'une kyrielle de bonbons chocolatés comme les célèbres Smarties.
Grâce à la bave de cochenille, les fruits et les légumes exotiques brillent comme es sous neufs sur les étals de nos supermarchés. Avant d'embarquer sur les porte-conteneurs, avocats, ananas, papayes ou mangues sont souvent enduits de shellac. Un film protecteur moins cher que la cire d’abeille. En dehors de notre assiette, le E9O4 sert, pêle-mêle, à enrober les médicaments, à traiter le bois, à fabriquer les vernis à ongles et les laques à cheveux.
On comprend maintenant pourquoi, les soirs de réveillon, après avoir englouti la bûche ou pioché dans les boîtes de chocolats, l’envie nous prend parfois de faire la danse de la (co)chenille…
Dans le Canard enchaîné du 6 décembre 2017.