Il n’y avait pas grand-chose de bon à attendre d’états généraux pilotés par un gouvernement qui ne cesse de prôner la productivité et la rentabilité comme seuls signes de progrès. C’est donc sans surprise qu’on voit les affligeants résultats de ces Egaiim : l’industrie peut dire merci.
Les États généraux de l’alimentation (Égalim) ont montré la volonté de la FNSEA, de l‘agro-industrie et de la grande distribution de n‘aménager qu‘à la marge le modèle agricole actuel. Le réchauffement climatique, l’extinction en masse de la biodiversité, la politique agricole commune et les traités de libre-échange, c'est-à-dire l’essentiel de ce qui pèse aujourd’hui sur l’agriculture et les systèmes alimentaires, ont été soit exclus, soit repoussés aux marges des débats. À la place de qualité de nourriture. on y a surtout parlé répartition des bénéfices de la malbouffe et concédé aux consommateurs un meilleur étiquetage des productions alimentaires. Comment « décider collectivement d’un changement profond de paradigme », comme l’annonçait le président Macron dans son discours de Rungis, quand on confie la définition de cette mutation aux seules filières agricoles moulées et ligotées par l’agro-industrîe ? Certes, il y a une évolution en ce que les mots de l’écologie — souveraineté alimentaire, biodiversité, agrobiologie, agroforesterie — entrent désormais dans le langage courant agro-industriel. Le greenwashing progresse.
Verdir le productivisme
Dans la « loi alimentation », comme toujours, le diable se cache dans le détail des formulations et l’accès aux financements. On fait un petit pas avec l’interdiction des néonicotinoïdes et on bénit l’arrosage aux pesticides avec « la protection des riverains a proximité des zones à traitement phytos ».
Au courage d’opter résolument pour le bio, on préfère l’objectif de « 15 % de surface agricole bio en 2022 » : prioriser la surface plutôt que le nombre de fermes, c’est faire le choix de la conversion industrielle au bio plutôt que favoriser l’installation de jeunes paysans alors qu’il y a une installation pour deux départs en retraite. C’est le meilleur moyen d’accélérer le développement des fermes intensives. On assiste clairement au démarrage du productivisme bio.
On se gargarise d’un blabla sur la sécurité alimentaire. En la matière, l’insécurité croît avec l’industrialisatton : plus on concentre des animaux, plus on a de risques sanitaires ; plus on appauvrit la génétique — animale comme végétale —, plus on affaiblit les résistances aux maladies ; plus on travaille le volume (de lait, de viande, de légumes) venant de plusieurs sources, plus celui-ci peut être entièrement contaminé par une seule source. Plus on entre dans la standardisation de l’assiette.
On se drape d’audace en annonçant 50 % de bio dans la restauration collective pour 2022 et c’est immédiatement atténué par un « ou sous signe de qualité ou de produit local » : c’est bien connu, le pesticide local est meilleur que l’étranger. On pourrait continuer avec « la labellisation de 50 % de la viande », qui ne veut pas dire grand-chose si on ne sait pas de quelle sorte de label il s’agit. Ne pas annoncer d’emblée des labels avec charte d‘élevage contraignante type bio ou label rouge ouvre l’espace à des labels d’autopromotion type « viande française » ou « viande d’ici » qui ne garantissent rien et servent de cache-sexe aux pires pratiques. En élevage bovin, 50 % de label, ça ne fait que consacrer le bon boulot des éleveurs de vaches allaitantes (53,8 % du troupeau de vaches), et ça ne change rien à la production bas de gamme issue du troupeau laitier intensif (barquettes des supermarchés).
Côté bien-être animal, la révision des modes d’abattage se conclut par un contrôle vidéo « expérimental » des abattoirs laissé à l’initiative volontaire…
Bref, par les portes ouvertes de sa formulation, le texte final permet de continuer l’agriculture industrielle et même plus intense qu’avant. En effet, la loi issue des Égalim sert de tremplin d’accès aux 5 milliards consacrés à l’agriculture du grand plan d’investissement (GPI) de 57 milliards promis par Macron de 2019 à 2022. L’argent est fléché vers la « multiperformance » et la « compétitivité ». En langue industrielle, ça veut dire de plus gros bâtiments d’élevage, de plus grandes surfaces par ferme, plus de matériel et de robots, moins de paysans. Et une part de marché intacte pour l‘industrie et la grande distribution. Une perpétuation du vieux paradigme. »
« Et en même temps », il faut avoir le sens de la nuance, mon bon monsieur !
Dans le numéro de février 2019 de Siné mensuel.