Surprise au comité de rédaction du « Figaro », ce 19 avril à 10 heures. Alexis Brézet, le patron des rédactions, y accueille trois invitées : des représentantes du laboratoire Boiron. Admirable preuve de tolérance quand on sait que le quotidien a publié plusieurs articles anti-homéopathie — la spécialité de Boiron. Au début de 2018, il avait même diffusé une tribune signée par 124 médecins, émaillée de vilains termes tels que « charlatanisme », « tromperie » ou « promesses fantaisistes ».
Egopathie
Heureusement pour la noble cause des granules, « Le Particulier Santé », propriété du « Figaro », a consacré, en janvier, un numéro entier à l’homéopathie, sous le titre « Pourquoi ça marche ». Au milieu : une jolie page de pub pour Oscilococcinum, l’un des produits vedettes de Boiron. Le labo ne lésine pas sur la pub et la communication. Selon le document de référence 2018 du groupe, il a consacré à la « promotion » un quart de son chiffre d’affaires, soit 155 millions d’euros, et a mobilisé sur l’activité 1 116 salariés — un tiers du personnel. Et la recherche pharmaceutique ? Elle pèse un chouia moins lourd : son budget s’élève à… 3,8 millions et elle emploie une armée de 13 personnes.
Un qui n’accablera pas ces producteurs de microbilles sucrées, c’est Xavier Bertrand. Le patron des Hauts-de-France combat avec ardeur le projet gouvernemental de déremboursement de l’homéopathie, actuellement pris en charge à 30 % par la Sécu. Il faut dire que Boiron exploite deux usines dans sa région, à Lambersart et à Villeneuve-d’Ascq.
En prenant cette position « sociale », Bertrand soigne donc ainsi son électorat et son ego. Lequel n’a rien d’homéopathique.
Ces chiffres m'ont scié. J'ai été les vérifier dans le document de référence 2018 de Boiron. La recherche représente donc 0,6 % du chiffre d'affaires de Boiron et 0,3 % de ses effectifs. En nombre de salariés, la promotion occupe la deuxième position derrière la préparation et loin devant les autres postes. En pourcentage du chiffre d'affaires, la promotion représente un peu plus que la préparation et la production industrielle.
Je sais depuis longtemps que les producteurs de médocs passent une grande partie de leur chiffre d'affaires à essayer de convaincre les toubibs de nous vendre leurs médocs (visites de démarchage, séminaires, cadeaux, etc.), mais là, chapeau. Chez Sanofi, pourtant fortement décriée pour avoir fermé des labos et réduit sa recherche, celle-ci représente tout de même 17 % de son chiffre d'affaires en 2018 (source).
Après, ça ne veut pas forcément dire que l'homéopathie nécessite peu de recherche : ces chiffres peuvent aussi signifier que le groupe Boiron vit sur une rente établie (comme l'Oscilococcinum) et effectue moins d'activités de recherche. Néanmoins, quand cette répartition des effectifs est constante depuis au moins 2015 (cf le document de référence des années précédentes), on peut avoir un vrai doute, soit sur la viabilité de l'entreprise à long terme, soit de la nécessité de la recherche dans le domaine de l'homéopathie. Les financiers n'étant pas idiots, le choix est vite fait.
Dans le Canard enchaîné du 24 avril 2019.