Les chiffres cognent d’eux-mêmes. En 2018, selon un rapport sénatorial sur l’usage des balles de défense, qui vient d’être rendu public, les gendarmes ont tiré au LBD à 983 reprises, contre 19 071 fois pour les policiers. Y a pas photo.
L’auteure de ce rapport, la sénatrice (LR) Jacqueline Eustache-Brinio, insiste surtout sur l’incroyable inflation qui frappe l’utilisation de cette arme. En 2014, on ne recensait en effet que 3 821 tirs, dont seulement 7 effectués par les gendarmes.
Nan, mais comme nos politiciens disent ces derniers jours : c'est une LR du Sénat, elle cherche à déstabiliser Macron, rien de plus, c'pas sérieux, voyons.
Un calcul auquel se sont aussi livrés les gendarmes avec délice, révélant, dans « L’Essor », organe non Officiel de la maison pandore, que, « sur les 9 228 tirs de balles de défense effectués dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, 1 065 l’ont été par les gendarmes. Les policiers sont donc à l’origine de 8 163 tirs, soit 90 % de l’ensemble ». Chaque fois que l’occasion se présente, c’est une usuelle tacatacatac-tactique du gendarme que de décrocher un coup de matraque aux camarades flics.
De leur côté, les syndicats de police n’en démordent pas. Répondant à Jacques Toubon, le défenseur des droits, qui réclamait la suspension des LBD dans le maintien de l’ordre, ils ont répondu : « Si le législateur décidait de retirer l’armement intermédiaire non létal aux forces de l’ordre, il resterait quoi ? L’arme de poing ou le fusil d’assaut » (RTL, 17/1). Presque mot pour mot ce qu’a répété cette semaine le ministère de l’Intérieur, qui estime que, sans LBD, les flics n’auraient que « le corps-à-corps ou leur arme de service pour gérer une situation qui dégénère ». C’est-à-dire le choix entre perdre un œil ou perdre la vie.
Mais, pour l’heure, c’est l’utilisation de ce nouveau « flashborgne » qui dégénère. Dans une tribune signée par 35 ophtalmologistes (le « JDD », 10/3), les praticiens dénoncent : « Une telle épidémie de blessures oculaires gravissimes ne s’était jamais rencontrée. » Comme le Conseil de l’Europe en février, qui avait appelé la France à « suspendre l’usage du LBD dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre », ces médecins demandent « instamment un moratoire dans l’utilisation de ces armes invalidantes ».
Cette arme, c’est d’ailleurs Jean Verney-Carron, fabricant français du Flash-Ball — abandonné par la police et la gendarmerie au profit du LBD 40 suisse —, qui en parle le mieux. Fatigué de voir son flash—Ball, marque déposée, associé dans la presse aux blessures des gilets jaunes, cet expert tient à le rappeler : « Le LBD 40 est beaucoup plus dangereux. La balle est un calibre de 40 mm. Un calibre de guerre » (« Le Parisien », 9/12/1 8).
Rien ne vaut l’avis d’un spécialiste.
Dans le Canard enchaîné du 13 mars 2019.