Niel (co-propriétaire, entre autres, du Monde), pro-Macron et pro-Estrosi (maire de Nice) possède désormais 34 % des parts de Nice-Matin et 11 % des parts de La Provence (Tapie). Safa, propriétaire, entre autres, de Valeurs actuelles et pro-Ciotti, a mis la main sur Azur TV, une chaîne pro-Estrosi. Niel prétend avoir investi pour sauver le journal de l'extrême-droite. Le patron des rédactions de Nice-matin et un délégué syndical pensent que le journal est assez solide pour résister aux faibles pressions électorales locales.
Il a Free, il a tout compris ? Ou comment l'investissement du milliardaire dans la coopérative vient rebattre les cartes médiatiques - et politiques - sur le pourtour méditerranéen.
Le feuilleton de l’été joue rarement les prolongations. Mais, avec internet, la chronologie des médias est bouleversée. Et l’investissement de Xavier Niel dans Nice-Matin pourrait agiter la rentrée médiatique. Pour Patrice Maggio, patron des rédactions de Nice-Matin, elle vient clore l’aventure « coopérative » : « La coopérative nous a permis de sauver notre titre mais c’etait un outil, pas une utopie. On savait, avec nos besoins de trésorerie et d’investissement, que cela ne pourrait durer indéfiniment. » Pas si sûr pour Romain Makzymowycz, du SNJ : « On nous a pris pour des fous furieux mais on a évité une vente a la découpe et il en restera toujours quelque chose. Deux milliardaires se sont affrontés pour s’emparer de notre titre et on sait qu’il faut compter avec nous. D'ailleurs, la coopérative existe encore… »
Si jusque-là c’était le belge Nethps qui était censé grimper dans le capital du titre, avec son retrait, cela a aiguisé quelques appétits. Celui de l’homme d’affaires franco-libanais Iskandar Safa, propriétaire, entre autres, de Valeurs actuelles. Mais aussi, surprise, au début de l’été, de Niel, patron de Free par ailleurs investi dans Le Monde.
Soupir de Maggio: « On ne peut pas dire que le débat en interne n'a pas eu d’écho » Confirmation de notre collègue du SNJ : « On était sur le cul ! » Si la direction, en discussion avec Safa a été surprise par Niel, qui a directement racheté les parts de Nethys, la rédaction, elle, s’est mise en grève pour dire « non à Safa » : « Quand on croyait qu’il était seul en lice, on se bouchait le nez. Mais on préfère avoir quelqu’un qui s’est investi dans Le Monde ou Atlantico que de se rapprocher de Valeurs Actuelles. » Ce qui n’a pas empêché Niel de donner des boutons au personnel administratif…
Safa a fini par jeter l’éponge et Niel s’imposer. Se voulant, dans son courrier du 8 août, aussi ambitieux que rassurant. S’il assure vouloir préserver « l'indépendance éditoriale », celui qui vient de mettre la main sur 34 % du capital (et qui va vite grimper), veut aussi « construire un nouveau modèle économique ». Et d’évoquer déjà « départs volontaires » et « clause de cession ».
Elle pourrait concerner près d’une quarantaine de journalistes sur 180, même si Niel veut mettre en place une « société des rédacteurs » à laquelle serait soumise toute nomination. Reste que, comme l'a relaté la presse, si Safa est proche d’Eric Ciotti, Niel est suffisamment pro-Macron pour qu’on le voit comme un allié potentiel de Christian Estrosi. Maggio tempête : « Je sais qu’on est en période électorale et que la question est sensible. Mais Nice n’est pas Marseille et l’on a su rester en dehors de ce genre de querelle. » Sourire du délégué syndical : « je ne doute pas qu’il y aura localement des tentatives de pression. Mais, avec l’expérience de la coopérative et une société des rédacteurs, on saura y répondre. » Et d’ajouter : « En tout cas, comme il nous. l’a dit, s’il est venu à Nice-Matin, c’est par crainte de voir le journal tomber entre les mains de l'extrême droite. Du storytelling ? Peut-être… »
Tandis que Nice-Matin continue de filer la main à La Marseillaise, Safa, pour se consoler, a mis la main sur la télé jadis très estrosiste Azur TV. Quant à Niel, en rachetant les parts de Nethys, il se retrouve aussi avec 11 % dans La Provence. Avec le projet d'un rapprochement ? À voir. D'aucuns évoquant le patron de CMA-CGM pour s’investir au sein du canard de Bernard Tapie.
De fait, à mesure que les municipales s’approchent, les esprits s’échauffent. En atteste la grosse colère cet été du LR Bruno Gilles face à l’édito en faveur de la candidature de Martine Vassal dans La Provence de Franz-Olivier Giesbert. Pendant ce temps, à Aix, la patronne de Zibeline Agnès Freschel parle « culture » à l’ université du PCF. Et quand ce n’est pas La Marseillaise qui accueille la réunion de rentrée du « Pacte démocratique », ce prolongement des États Généraux de Marseille, c’est son ex-directrice Audrey Garino qui négocie au nom du PC au sein du « Rassemblement inédit ». Le journalisme, ça mène à tout, à condition de s'en sortir…
Dans le numéro de septembre 2019 du Ravi, journal satirique en PACA