Cet arrêt du Conseil d’Etat belge (29 juin) ressemble à une — première — victoire pour les ONG bataillant contre les marchands de canons européens. La sanglante guerre au Yémen (10 000 morts en trois ans), alimentée par des industriels de l’UE, est une foire aux missiles et aux armes lourdes. L’arrêt du Conseil belge a retiré huit licences d’exportation d’armes à la Fabrique nationale Herstal. La région wallonne — l’actionnaire de ce groupe propriétaire des marques Winchester et Browning — n’a, en effet, pas « procédé à un examen minutieux et prudent » de la question du respect des droits de l’homme par l’Arabie saoudite, acheteuse, l’an dernier, de 153 millions d’euros d’armes wallonnes. A la tête d’une coalition de pays arabes, Riyad est le premier belligérant de ce conflit dirigé contre la rébellion houthie (chiite) au Yémen.
Commerce rentable
Pas de coup d’arrêt de cette sorte en France, où les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et l’Egypte ont triplé depuis 2014, pour atteindre 1 milliard d’euros en 2016… Et les livraisons continuent en 2017 : 1,38 milliard à l’Arabie saoudite, et 210 millions aux Emirats arabes unis. Sur cette base, l’association Action Sécurité Ethique républicaines (Aser) a déposé, le 7 mai, devant le tribunal administratif de Paris un recours pour violation répétée du traité sur le commerce des armes (TCA).
Ce traité, solennellement ratifié par la France en 2014, interdit les « transferts d’armes classiques » si l’Etat du vendeur a connaissance de ce que « ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre (…) des attaques dirigées contre des civils ou d’autres crimes de guerre ».
A l’Assemblée, une petite fronde est jugulée par Richard Ferrand, le patron du groupe LEM, et Marielle de Sarnez, la présidente de la commission des Affaires étrangères. Ils s’opposent depuis trois mois à une quarantaine de députés de la majorité présidentielle. A leur tête, Sébastien Nadot, député de la Haute-Garonne, qui, le 5 avril, a lancé un projet de commission d’enquête.
Présentez armes
A ce député trop curieux, Macron en personne a assuré en février que ces livraisons signées surtout sous Le Drian à la Défense portaient sur des « armes défensives » (sic). Puis, en juin, il l’a félicité pour son action de contrôle : « Je suis de très près ce que vous faites. » Mais il n’a pas fait débloquer sa commission d’enquête pour autant… Jupiter impuissant contre la foudre ? Crédible !
Un rapport commun de l’Observatoire des armements et de la FIDH (« Le Canard », 20/6) détaille pourtant des « indices de présence » recoupés d’armements français sur le théâtre des opérations au Yémen : des 4 x 4 blindés vendus à l’Arabie saoudite en 2016, des canons Caesar de 155 mm, mais aussi des chars Leclerc et des Mirage 2000 émiratis, certes vendus dans les années 90, mais nécessitant « munitions, formation, services et assistance », lesquels se trouvent dans le collimateur des députés. Preuve de son vif intérêt, Macron a convoqué à Paris, le 27 juin, une petite conférence humanitaire sur le Yémen mais qui a été trustée par les Saoudiens… et à laquelle il ne s’est finalement pas donné la peine d’assister.
Dans le Canard enchaîné du 18 juillet 2018.