Pinaise ce qu'elle m'énerve, l'expression « je n'ai pas le temps de » faire ceci ou cela ! Elle est très souvent utilisée dans les associations (« j'aime ce que vous faites, mais je n'ai pas le temps de m'impliquer ! », etc.) et dans les discussions politisées ou argumentées (« je n'ai pas le temps de comprendre tel sujet, je bosse, moi ! », « je n'ai pas le temps de lire tel livre ! », « je n'ai pas le temps de lire la presse ! », « je n'ai pas le temps de m'intéresser aux idées concrètes de tel⋅le politicien⋅ne », etc.).
Elle m'énerve car elle semble permettre à son énonciateur⋅rice de se dédouaner de ses responsabilités (de bénévoles, de citoyen⋅ne, de parent, etc.) comme ça, comme par magie. Elle est l'une des composantes de la déresponsabilisation qui règne dans notre monde. En effet, l'énonciateur⋅rice dispose de la même quantité de temps que tout le monde. Les journées d'un⋅e militant⋅e ne font pas plus de 24 heures. Si une personne n'a pas pris le temps de faire telle ou telle activité au profit d'une autre activité, c'est par choix, pas par manque de temps. L'énonciateur⋅rice a choisi parmi une liste d'activités celles qui, selon lui⋅elle, selon ses critères, méritent d'être priorisées, méritent son attention. Par exemple, il⋅elle a choisi de prioriser sa famille puis son travail puis un grattage de ses parties intimes devant la TV puis… et de négliger tout le reste, comme aider les copains et copines de l'association dont il⋅elle est membre, se cultiver, s'impliquer dans la vie politique, etc. C'est un choix, pas un manque de temps.
Or, une responsabilité découle de tout choix : si tu ne comprends pas le monde qui t'entoure (comme la technologie, par exemple) et que t'as le sentiment de te faire empapaouter, car tu ne prends pas le temps de l'étudier, c'est de ta responsabilité. Si tu as préféré roupiller 2h de plus au lieu de t'impliquer dans la vie d'une association, tu ne peux pas reprocher à l'association de stagner dans l'immobilisme et tu es responsable de l'épuisement de ses bénévoles. Si tu as préféré t'affaler devant Netflix au lieu de t'impliquer dans la vie politique (en lisant la presse ou en t'intéressant à la vie de ton quartier, par exemple), tu ne peux pas décemment te plaindre des choix vaseux de nos élu⋅e⋅s. Si tu ne t'impliques pas dans les débats et combats sociaux, tu ne peux pas décemment te plaindre de la perte des acquis sociaux et du démantèlement de la fonction publique, par exemple. Enfin, si, tu le peux, bien sûr, mais cela affecte négativement la cohérence entre ta pensée et tes actes, donc ça réduit ta crédibilité.
Comme je n'aime pas l'hypocrisie ni le rejet des responsabilités sur autrui (le méchant système qui t'oblige à avoir un boulot à temps plein, le méchant patron, le⋅a méchant⋅e conjoint⋅e qui réclame ta présence, etc.), je te propose d'assumer les responsabilités qui naissent de tes choix et ainsi de dire « je ne souhaite pas prendre le temps de […] » au lieu de « je n'ai pas le temps de […] » et « je n'ai pas pris le temps de […] » au lieu de « je n'ai pas eu le temps de […] ».
De mon côté, je constaterai que, pour toi, une séance de sport est plus importante que de défendre telle ou telle cause et que de rester amorphe devant la TV est plus important pour toi que de conduire une réflexion sur tel ou tel sujet. Ce n'est pas un tort tant que c'est assumé, mais la priorisation que tu fais des différentes activités possibles permet d'exprimer qui tu es et s'il convient de marcher à tes côtés ou non sur tel ou tel sujet. Mais, compte sur moi pour te mettre face à tes responsabilités : tu as le temps, tu choisis de te pas le dépenser dans telle ou telle activité. Dis-toi bien que c'est peut-être pour ça que pas mal de choses vont mal. Je suis responsable, tu es responsable, il⋅elle est responsable, nous sommes responsables de ces merdiers.