Fuites radioactives dans les nappes phréatiques émises par le centre de stockage de l’Aube ?
Boire de l’eau radioactive, c’est l’expérience que des habitants de Soulaines-Dhuys (415 habitants, Aube) et Anglus (65 habitants, Haute-Marne) ont pu vivre à leur insu l'an dernier. Moins drôle que le sketch de Bourvil. La date de la contamination est floue. Cela se serait passé aux alentours du 15 février 2018, comme le laisse entendre Michel Guéritte un des habitants, averti à cette date d’une analyse de l’eau brute souterraine (celle de la nappe phréatique, pas celle du robinet) au captage de Sauvage-Magny : « L’analyse révélait un taux d’“activité alpha globale” de 0,1 becquerel/litre (Bq/l), c’est-à-dire juste au seuil au-dessus duquel il faut chercher la nature des radionucléides et les quantifier. Comme on était à la limite, l’Agence régionale de santé [ARS] n’a pas été plus loin. » L’ARS se contente de répondre à Michel Guéritte : « Vous n’auriez jamais dû le savoir. » Pour l’eau potable (celle livrée par Suez au robinet), la certitude de la contamination radioactive s’est lue dans l’analyse de l’eau prélevée le 23 juillet. Son résultat était prêt dès le 27 juillet mais n’a été rendu public que le 8 octobre. On peut y lire que le taux pour « l’activité bêta globale » est de 5,41 Bq/l, alors que la norme sanitaire est de 1 Bq/l. Cela aurait dû déclencher une analyse approfondie. Là encore, silence. Dormez braves gens, « ce n’est que de la radioactivité naturelle », répond-on aux curieux. Comme si, naturelle ou industrielle, cela changeait la nocivité.
Pour y comprendre quelque chose, il faut se pencher sur la carte géographique. Le captage d’eau potable est à 4700 mètres du centre de stockage de l’Aube (CSA), le plus grand centre de stockage en surface de déchets radioactifs du monde, avec une capacité de 1 million de mètres cubes dans 420 bâtiments (a terme). Il s’étend sur une centaine d’hectares dans la forêt, situé sur les communes de Soulaines-Dhuys, Ville-aux-Bois et Épothémont. Depuis son ouverture en 1992, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) y entrepose des déchets radioactifs de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), trente-et-un ans, mais l’agence annonce leur innocuité au bout de… trois cents ans. À chacun son ordre de grandeur ! La durée de vie n’ôte en rien la dangerosité des déchets. Ils arrivent au rythme moyen de six camions par jour ouvré, puis sont stockés dans des bâtiments scellés au béton quand ils sont pleins. Le CSA est à environ un tiers de sa capacité de stockage. La question soulevée par l’analyse de l’eau est celle de la contamination de la nappe phréatique due au centre de stockage. Michel Guéritte souligne que les jus qui s’écoulent des alvéoles de béton sont chargés en radionucléides et que le CSA est muet sur leur possible infiltration verticale et sur leur devenir en cas de pluie abondante.
La région a connu en 2018 deux gros événements climatiques. Un orage énorme — 50 mm d’eau en douze minutes — soit 45 000 m3 sur le CSA, qui a fait déborder le bassin censé contenir ce type d’écoulement. Et une tornade qui a ravagé une zone industrielle dans laquelle un sous-traitant (STSI) stocke et trie des déchets pour le centre de stockage. Surprise des voisins se retrouvant avec des déchets radioactifs dans leur jardin…
Chape de silence
Selon Michel Guéritte, l’affaire ne s’arrête pas aux deux accidents climatiques. Ce 29 avril, il a découvert que, depuis 2004, l’eau des captages voisins de Longeville-la-Marnière et Sommevoire dépassait souvent le seuil autorisé, avec des pointes à 0,17 et 0,14 Bq/l. Les orages ne sont même plus une excuse. Le centre de stockage de l’Aube fuit et personne ne dit rien. La seule chape étanche est celle du silence. À ce petit jeu, l’eau radioactive peut encore couler longtemps des robinets. Et il y a au moins deux nouveaux centres (le stockage prévus dans la forêt — l’Andra a acheté 5000 hectares… En 2010, une étude de l’Institut de veille sanitaire a relevé un taux de cancers plus élevé que la moyenne nationale dans un cercle de 15 km autour du CSA. Deviendra-t-il aussi un état zéro pour tous les sites nucléaires ?
Dans le Siné Mensuel de juin 2019.