Les aménageurs du territoire sont obligés de naturaliser (mot moderne dénué de signification détecté !) des zones afin de compenser les dégâts qu'ils infligent à d'autres zones. C'est parfaitement stupide et inefficace. Mais voilà que l'on se met à compenser la destruction d'une zone qui compensait elle-même la destruction d'une autre zone… Le suivi de ces dites compensations est très insuffisant donc leur sanctuarisation n'est pas garantit… Les avis des autorités chargées de la protection de l'environnement sont contournés…
Et si l'on arrêtait de penser con (compenser) pour penser socialement utile, intérêt commun, tout ça ?
Stop à l’artificialisation des terres ! Le gouvernement l’a promis à l’issue du premier Conseil de défense écologique (le 23 mai) : 60 000 hectares bétonnés chaque année, ça suffit. Sauf qu'on pourra continuer de bétonner grâce à la com-pen-sa-tion. Héritage du Grenelle de l’environnement et obligation réglementaire depuis 2016, ce savant mécanisme oblige les aménageurs qui détruisent des espaces verts à acheter en contrepartie des « actifs naturels ».
Ainsi, si un promoteur comble une mare où barbote la grenouille agile, espèce protégée, il devra acheter un terrain gorgé d’eau jusqu’à deux fois et demie plus grand et le « re-naturaliser » (sic). Et hop ! voilà comment on obtient le « zéro artificialisation nette ». Reste une question : cette nouvelle mare vertueuse et grouillante de biodiversité est-elle à jamais sanctuarisée ? Prenons deux exemples.
Près de Lyon, entre Tarare et L’Arbresle, les élus locaux ont autorisé le bétonnage de 47,5 hectares de terres agricoles le long de l’A89, afin d’y bâtir moult hangars et grandes surfaces. Or, sur ce territoire, se trouvent une haie et deux mares censées être protégées puisqu’elles compensent les dégâts occasionnés en 2013 par ASF, une filiale de Vinci, lors de la construction de cette même A89. Harold Levrel, économiste à AgroParisTech, est formel : « Dans la loi de 2016, il est clairement mentionné que les mesures compensatoires doivent durer aussi longtemps que l’impact. Il s’agit ici d’un cas de délit environnemental flagrant ! » En septembre dernier, l’Autorité environnementale a beau avoir émis un avis négatif sur ce projet, l’opération suit son cours.
Même histoire dans l’Essonne. A Palaiseau, la Société du Grand Paris veut construire un viaduc pour la future ligne 18 du métro. Un de ses piliers se situera dans une zone humide abritant l’étoile d’eau, discrète plante aquatique protégée. Or cette étoile avait été transplantée la en 2011, avec mille précautions, pour compenser la construction d’un centre de recherche d’EDF dans le nouveau quartier de l’Ecole polytechnique de Palaiseau. Malgré l’avis négatif du Conseil national de la protection de la nature, l’arrêté préfectoral a été délivré le 20 décembre 2018. La préfecture indique au « Canard » que cet arrêté « prescrit de nouvelles mesures de compensation en réponse aux impacts sur l’étoile d’eau ». Ainsi, il est prévu de compenser la destruction d’une zone qui était destinée à compenser la destruction d’une autre zone. Génial !
Grandeur rature
Depuis le 25 mars est accessible sur Géoportail, le site de l’IGN, la carte des quelque 3 000 sites abritant des « mesures compensatoires ». Un merveilleux outil insensément compliqué. Quand on cherche, près de Lyon, la fameuse mare ayant servi à compenser les travaux de l’A89, on ne la trouve nulle part.
URL : https://www.geoportail.gouv.fr/donnees/mesures-compensatoires-des-atteintes-a-la-biodiversite
Sylvain Angerand, de l’ONG Les Amis de la Terre, n’est pas étonné : « La plupart des mesures compensatoires sont émiettées. Une mare par-ci, un bout de prairie par-là… Personne n’est missionné dans les services de l’Etat pour suivre ces mesures, et les associations n’ont ni le temps ni les moyens de le faire. Dire qu’on est capable de garantir la protection d’un espace naturel sur le long terme est irréaliste. Ces deux exemples montrent qu’à court terme on n’y arrive même pas ! »
L‘artificialisation a de beaux jours devant elle.
Dans le Canard enchaîné du 17 juillet 2019.