Bon, Hugo Verlomme fait plus qu’aimer la mer, la vague, la pla ge. Il ne vit que pour elles, n’écrit que sur elles. Et parfois cet amour l’emmène aux confins d’un lyrisme « Grand Bleu » très fleur bleue : « Ecoutons le message des dauphins, ceux qui ont su vivre pendant des millions d’années en bonne intelligence avec l’océan sans le saccager, sans s’entre-tuer, en appliquant les grands principes de leur philosophie : solidarité, amour, jeu. » Certes, certes…
A force d’écouter le message des dauphins, il a écrit un livre bourré d’adresses et d’infos qui développe une vision du monde marin plus que positive. Allons, les amis, tout n’est pas perdu, les mers ont beau être ravagées par la surpêche, les pollutions chimiques ou bactériennes, l’invasion du plastique, l’acidification de l’eau, l’extraction minière, les pollutions sonores et tutti quanti, voyez tous ces lanceurs d’espoir et de cercles vertueux qui viennent à leur secours ! Voici « des milliers d’initiatives pour sauver la mer… et l’humanité » !
Devenez un « plongeur écoresponsable ». Enthousiasmez-vous en découvrant la saga de Sylvia Earle, l’océanographe qui a réussi à convaincre George Bush de créer, en 2006, « à la surprise générale, le plus vaste sanctuaire marin du monde ». Depuis votre ordinateur, participez à la traque aux pêcheurs pirates grâce au programme Global Fishing Watch. Soutenez le projet Biorock, qui, à Bali, a permis de restaurer les récifs de corail dégradés en immergeant des grilles métalliques parcourues d’un faible courant pour favoriser un processus d’« accrétion minérale électrolytique ». Visitez les fonds marins en louant des submersibles électriques high-tech mis au point par la compagnie flamande Ortega Submersibles… Bref, soyez comme les colibris chers à Pierre Rabhi, pour qui aucun geste n’est inutile ou dérisoire.
Tout cela est fort sympathique. Mais il suffit d’ouvrir le journal pour voir d’autres logiques à l’œuvre : celles qui s’emploient à exploiter de plus en plus intensivement les océans. Par exemple, les immenses zones abyssales jusqu’ici à l’abri de la rapacité humaine. Elles sont bourrées de sulfures polymétalliques, de terres rares indispensables aux fibres optiques et aux écrans LCD, de cuivre, d’argent, de fer et de zinc. Elles font rêver Francis Vallat, président du groupe de travail synergie Grands fonds marins. Non seulement, dit-il, la France dispose de vastes eaux territoriales, mais elle est le « seul pays au monde à disposer de leaders mondiaux dans les dix phases de travaux nécessaires à l’exploration puis l’exploitation des futurs gisements ». La France s’apprête donc à être l’une des premières à exploiter industriellement les abysses ! Tout en promettant, bien sûr, ça ne mange pas de pain, d’« éviter les dommages écologiques » (« Les Echos », 25/65).
Pas sûr que les milliers d’initiatives défendues par Hugo Verlomme suffisent à stopper Francis Vallat et ses amis dans leur conquête de ce nouvel eldorado. Pas sûr qu’il soit sensible au « message des dauphins »…
Dans le Canard enchaîné du 11 juillet 2018.