La présidence de la République a fait savoir, par l’intermédiaire de Sibeth Ndiaye, conseillère de communication d’Emmanuel Macron, que la salle de presse à l’intérieur de l’Elysée déménagerait d’ici l’été dans une annexe hors du Palais. […]
Depuis quarante ans, les médias accrédités par la présidence jouissaient d’un accès à une salle de presse donnant sur la cour de l’Elysée à certaines occasions (Conseils des ministres, réceptions de dirigeants étrangers…). Les agences de presse à l’instar de l’AFP y avaient d’ailleurs accès en permanence, note la journaliste Laurence Benhamou dans une dépêche AFP datée du 14 février.
« La présidence a décidé d’un déménagement de la salle de presse» dans une annexe située rue de l’Elysée, « afin d’augmenter sa taille », a justifié Sibeth Ndiaye mercredi auprès de journalistes. Cette décision a été prise « pour une raison fonctionnelle », l’Élysée souhaitant également « élargir le champ des accréditations permanentes », a complété la conseillère communication de l’Elysée.
Il est probable que Macron profite de ce moment opportun pour exaucer un souhait qu’il n’avait pas tu dès le début de sa mandature : tenir les journalistes hors du Palais. Ainsi, ces derniers ne seraient pas en permanence tenus informés des visiteurs du président de la République.
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Mitterrand était prêt à davantage de « transparence » dans la mesure où il pouvait lui-même presque entièrement maîtriser le degré de transparence qu’il voulait bien offrir aux citoyens via le truchement de la presse. Cette transparence officielle était un effet de lumière, un artifice pleinement intégré à la stratégie de communication de l’exécutif.
A cet égard, le « secret », cette zone de parole qui paraît lumineuse à celui qui a le droit d’y pénétrer et qui permet à l’émetteur de protéger à l’ombre ce qu’il veut ne pas dire, n’est-il pas une modalité du discours diplomatique et politique ? En un sens, l’on peut dire que la transparence participe de la culture du secret, et qu’Emmanuel Macron, en y renonçant, cherche à dépasser cet âge de la communication politique.
L’ancien ministre de François Hollande – celui qui voulait de lui-même ne rien cacher, n’a pas pour sa part l’intention de laisser traîner une caméra sur les tapis de son bureau ni d’envoyer dix Snaps par jour. Il a conscience que la transparence à l’heure des réseaux sociaux ne peut être qu’illimitée et infinie. Elle ne peut donc effectivement que lui échapper entièrement.
Par souci de s’assurer que la communication qu’il mène dans le but de légitimer ses options politiques auprès du peuple français soit portée par la presse – et se répercute en conséquence dans l’opinion à un degré plus haut que les tweets émis ou inspirés par les journalistes en charge de couvrir l’Elysée, Emmanuel Macron tient à distancer les journalistes, qui pour la plupart entretiennent un compte Twitter à leur nom, de la Cour d’honneur de l’Elysée, lieu de passages et carrefour de confidences.
Twitter véhiculerait les informations produites par les journalistes ou par des relais à bien plus grande vitesse que tout acte de communication présidentielle ; si bien que les réseaux sociaux mettent rapidement et abondamment les Français au courant des rumeurs, alors même que les finalités et les modalités des réforme en cours les atteindraient moins vite.
Macron estime que la situation de la salle de presse au centre névralgique du pouvoir exécutif ne peut qu’augmenter rumeurs et « fuites » de faits qu’il n’a pas envie de rapporter aux Français, ou bien auxquels il entend donner un écho moindre dans l’opinion.
Je suis mitigé sur cette décision de notre président.
D'un côté, une vue permanente sur la cour d'un lieu de pouvoir est une bonne chose. Savoir qui visite réellement le président, en dehors de ce qui est consigné dans les zolis registres officiels, est vital. Les décisions prises à l'Élysée appartiennent à chaque citoyen⋅ne, comprendre comment elles ont mûrit, qui sont les protagonistes à la manœuvre, etc., est capital.
D'un autre côté, seules les agences de presse accréditées, c'est-à-dire l'AFP, Reuters, AP et Bloomberg, ont un accès permanent, c'est-à-dire des organisations qui n'ont, à mes yeux, pas brillées par la qualité de leurs contenus depuis des années et des années. Sans compter que cela ne va pas dans le sens de l'indispensable pluralité médiatique. Remédier à cette situation me semble tout aussi important.
De plus, je me demande si cette proximité ne produit pas forcément un journaliste de connivence : il faut se faire bien voir, ronronner gentiment, rapporter au public seulement ce qu'on te demande de rapporter, devenir un intime, tout ça, afin de rester accrédité. C'est cela, pour moi, la « zone de parole qui paraît lumineuse à celui qui a le droit d’y pénétrer et qui permet à l’émetteur de protéger à l’ombre ce qu’il veut ne pas dire ». Est-ce que de l'information peut vraiment sortir de cela ?
De même, d'après les propos de journalistes accrédités rapportés par le Canard enchaîné du 28 mars 2018, leur présence ne leur permet pourtant pas de décrocher des entrevues avec les conseiller⋅e⋅s de Macron. Il⋅elle⋅s évoquent « une fois en neuf mois ». Tout ça me laisse à penser que le problème de fond n'est pas le déménagement de cette salle de presse, mais le fait que le pouvoir prend ses distances avec la presse.
Et, en effet, ce déménagement est une énième mesure contestable du pouvoir élyséen pour se retrancher dans l'ombre, après les journalistes triés sur le volet lors des voyages officiels, après l'interdiction de filmer les ministres dans la cour du Château, après l'étau qui semble se resserrer autour de l'audiovisuel public, etc. J'ai le sentiment que les journalistes n'arrivent plus à collecter les paroles et les actes de Macron à part les journalistes people élogieux de Paris Match.
Le travail journalistique autour de l'Élysée est évincé par la communication. Et ça, c'est très dangereux, avec ou sans salle de presse au sein du Château.
http://www.snj.fr/article/les-journalistes-bannis-de-lelys%C3%A9e-1078519621 :
Quelle est cette conception de la démocratie qui consiste à « privatiser » l’Elysée en se débarrassant de tout témoin des activités qui y sont exercées ? Quelle est cette conception de la liberté de la presse qui consiste à considérer les journalistes comme des communicants aux ordres, qu’on convoque quand cela arrange et qu’on renvoie ?
Via le Canard enchaîné du 28 mars 2018.