Entretien avec Juan Branco, avocat juridique de Wikileaks (il a planché sur la demande d'asile française et sur la décision de l'ONU qui qualifie d'arbitraire la détention d'Assange), ex-collaborateur extérieur du ministre des affaires étrangères sur la question syrienne.
L'entretien tourne autour de questions géostratégiques et des stratégies de lutte contre un pouvoir étatique. C'est très intéressant. J'en recommande vivement le visionnage.
Mes notes :
- L'information fait le cœur du pouvoir. C'est pour cela qu'on a regroupé les informations, et donc les gens, dans peu d'endroits dits de pouvoir. Un État c'est un espace dans lequel toute information va remonter, dans lequel il est possible de tout savoir de tout point du territoire, dans lequel on dispose d'informateurs pour relayer l'information en tout point (que sont les préfets ?). C'est cela qui permet de prendre une décision et d'imposer une autorité. C'est moins vrai aujourd'hui. Exemple : l'utilisation de sources publiques pour documenter le conflit syrien ;
- Les collaborateurs d'un ministre filtrent les informations qui seront remontés au ministre. Comme chacun a sa grille de lecture, le ministre n'a pas forcément toutes les informations pour prendre des décisions efficaces. Exemple : il y avait un véritable gonfre entre les informations dont disposaient le ministre sur le groupe rebelle au Nord-Kivu et l'ambassade de France au Congo… Il y a un éloignement du terrain. Même la DGSE est peu déployée sur les zones éloignées de la décision. Cela donne des prises de décision déconnectées de la réalité. Exemple : le génocide au Rwanda où les ordres étaient de plus en plus incohérents avec la réalité jusqu'à ce que l'armée fasse remonter, deux mois plus tard, que les ordres ne peuvent plus être exécutés car l'écart était devenu trop grand. Il n'est pas dit que la France ait voulu participer à ce génocide, il est probable qu'un manque d'informations en soit une des causes ;
- Aujourd'hui, l'Arabie Saoudite et le Qatar sont des constructions politiques liées au commerce des énergies (pétrole, gaz). Le Qatar permet, par exemple, d'éviter un monopole de l'Arabie Saoudite. La nomination de l'Arabie Saoudite au conseil des droits de l'Homme de l'ONU est une manœuvre destinée à obtenir leur consentement sur des décisions, c'est de la pure géopolitique. On sait que l'Arabie Saoudite se vante de financer 90 à 95 % des groupes terroristes, mais on s'en moque, car c'est géopolitique ;
- Il y a un lien fort entre les milieux militants écolos et la mouvement anarchiste autonome (gauche de la gauche qui prône la déstructuration de l'État au profit d'une autre organisation sociale, comme la Commune). Les ZAD sont conçues comme des espaces qui se veulent inviolables par l'État. Une stratégie de tension réciproque est mise en place avec l'État : la police déloge violemment les occupants, et les anars tentent de pousser la police à la faute afin de rendre inviolable le territoire. Exemple : la mort de Rémi Fraisse rend caduque le projet de barrage, car l'État perd son pouvoir. La même stratégie de tension est utilisée dans les manifs. C'est ça, les blackblocks ;
- Un contrôle économique des câbles sous-marins par lesquels transitent Internet n'est pas trop un enjeu, compte-tenu des capacités d'infiltration et d'interception sur les câbles, à la volée, sans avoir besoin de posséder les infrastructures. En revanche, ce que ne dit pas Branco, c'est qu'il y a un enjeu géostratégique de développement des territoires : le territoire qui sera choisi comme l'un des points d'amarrage profitera d'externalités positives ;
- Le terrorisme islamique, c'est la perte d'une partie de l'autorité de l'État. Elle est causée par une incohérence entre les paroles de nos gouvernants (dénoncer le méchant Assad) et les actes (environ rien) qui permet à des groupes, comme l'état islamique de proposer une alternative au problème décrit par nos gouvernements ("viens buter le méchant Assad toi-même") auprès de gens en détresse sociale qui sont ensuite instrumentalisés pour combatte leur État qui s'est affaibli par ses incohérences ;
- Il ne faudrait pas louer le courage d'Assange, de Snowden et des autres lanceurs d'alerte, il faudrait condamner la prise de risques que les États ont fait porter sur leurs épaules, car elle n'est pas légitime.