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Outre le fait qu’il n’a jamais été scientifiquement prouvé que les femmes perdent un morceau de cerveau en accouchant, et que, par conséquent, il n’y a aucun lien de causalité entre la grossesse de Léa Salamé et ses compétences professionnelles, la remarque de François Fillon est sexiste à plusieurs égards. En sous-entendant qu’elle fait mal son travail de journaliste, il applique une tactique classique de déstabilisation de l’adversaire, pas forcément sexiste au demeurant, mais qui le devient dans le contexte qui suit, car Léa Salamé aurait mal fait son travail parce que, voilà, son vagin a récemment expulsé une petite chose qu’on appelle communément un enfant. Et voilà comment Fillon assigne Léa Salamé à son rôle de mère, pas de journaliste. Voilà comme il la renvoie aux couches-culottes, aux tétées de la nuit, à son utérus, à sa vie domestique, à ses nuits sans lune, à son intimité. Sous couvert de bienveillance, d’un habile «je me permets de vous féliciter», il force son interlocutrice à accepter ses félicitations avec le sourire, il la pousse, il la force, il l’assigne. Il est sexiste, oui, mais bienveillant.
[…] «L’ambivalence des attitudes envers les femmes découlerait de la coexistence entre deux types de pouvoir : le pouvoir structurel et le pouvoir dyadique, écrivent les chercheurs belges Marie Sarlet et Benoît Dardenne en 2012. Le premier est celui à travers lequel les hommes dominent aux niveaux des institutions politiques, légales, économiques et religieuses. Ce type de pouvoir renforcerait les attitudes sexistes hostiles envers les femmes. Le second, le pouvoir dyadique, est originaire de la dépendance des hommes aux femmes (pour les besoins d’intimité et de reproduction) et encouragerait des formes bienveillantes de sexisme (par exemple, la vénération et la protection des femmes). […]
Dans la vie de tous les jours, le sexisme bienveillant est plus difficile à observer que le sexisme hostile, car il est moins frontal. Mais il est bel et bien là : on le trouve chez ces hommes qui confondent courtoisie et galanterie, convaincus d’être des types bien parce qu’ils tiennent la porte à un être humain en jupe (mais pas question de travailler sous les ordres d’une gonzesse) ; on le trouve chez ces types qui adorent «la femme», mais moins «les femmes» ; chez ceux qui les complimentent sur leur prétendue «douceur» pour mieux les renvoyer ensuite à leurs «faiblesses», ou à leurs «émotions» ; et aussi chez ce monsieur qui vous propose, bien gentiment, de faire votre créneau à votre place en vous voyant galérer, comme tout le monde avec votre voiture, parce que ça n’a pas l’air d’être «votre tasse de thé» à vous, pauvre petite demoiselle en détresse, mais enfin, pourquoi refuser, c’est ridicule…
Le sexiste bienveillant est chevaleresque, le sexiste bienveillant est galant, le sexiste bienveillant, exalté par tant d’altruisme, ébahi de sa propre générosité, ne comprend pas pourquoi, du coup, on refuse une aide si gentiment proposée, franchement les femmes, c’est d’un compliqué…
Et le sexisme hostile, du coup, c’est quoi ? C’est par exemple en 2009, lorsque François Fillon, alors Premier ministre, dit à Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’Etat chargée de la Prospective et du Développement de l’économie : «Tu ne seras pas ministre car tu es enceinte.» Le sexisme hostile, c’est quand NKM se retrouve, quatre années plus tard, à prononcer devant un journaliste de NBC cette phrase terrible : «J’ai raté, à chaque grossesse, une occasion de devenir ministre.»
Axelle Lemaire a aussi fait les frais du sexiste bienveillant à l'Assemblée lors du vote finale de sa loi pour une République numérique où les députés la félicitaient pour mieux la ramener à sa condition de femme.