+ Communiqué de presse de Ruffin.
- Ruffin et son journal, Fakir, sont espionnés par LVMH au motif qu'ils avaient pour intention de déstabiliser LVMH et son AG. Détails ici. Collecte frauduleuse de données personnelles + exercice illégal d'activités privées de sécurité (pour infiltrer Fakir). Source ;
- Dans cette affaire, qui dépasse Fakir, d'autres infractions ont été relevées. Trafic d'influence (demander, en tant qu'ancien dirlo, à des agents de la DGSI de cibler des individus, faciliter l'obtention de visas et de badges d'accès à un aéroport), abus de confiance (profiter de sa fonction de dirlo de la DGSI pour ouvrir une enquête afin d'identifier un maître-chanteur bien réel de LVMH au motif de la défense des intérêts économiques de la Nation, tiens, l'un des motifs fourre-tout de la loi Renseignement de 2015), violation et recel d'un secret (obtenir des infos sur une enquête / plainte en cours). Source ;
- Au motif que les infractions sont anciennes, LVMH et le Parquet de Paris signent une Convention Judiciaire d'Intérêt Public (CJIP, apparue avec la loi Sapin 2) : moyennant 10 millions d'euros, LVMH échappe à la justice sans reconnaître sa culpabilité. Une CJIP n'empêche pas de poursuivre les personnes physiques impliquées, comme les cadres de la société commerciale signataire de la CJIP. Dans le cas présent, Squarcini, ex-dirlo de la DGSI et consultant pour LVMH, n'échappe pas aux poursuites et, comme d'autres, il est renvoyé devant un tribunal en décembre 2022. La loi prévoit zéro recours contre une CJIP (d'autres décisions judiciaires ne peuvent être contestées) ;
- Ruffin se questionne : acheter la justice (10 millions d'euros = 0,02 % du chiffre d'affaires annuel de LVMH) ? La CJIP, initialement conçue pour lutter contre la corruption, le trafic d'influence, le blanchiment et la fraude fiscale, est-elle utilisable quand la conséquence des infractions relevées est l'espionnage d'un journal ou la liberté de la presse et le respect de la vie privée passent-elles avant ? Une victime des infractions a peu de marge de manœuvre (elle transmet des éléments pour évaluer son préjudice, elle ne négocie pas, la loi prévoit aucun délai de réponse / d'action donc le Parquet fait ce qu'il veut ‒ 10 jours pour Ruffin ‒)… Pro-éminence du Parquet et prérogatives excessives ? Quid du droit à un recours effectif ?
- Ruffin tente un appel contre la décision d'homologation de la CJIP, et, parallèlement, un pourvoi en cassation. La cass' a rejeté son recours en février 2022. La Cour d'appel vient de le faire aujourd'hui. Épuisement de tous les recours franco-français ;
- Ruffin envisage un recours devant la Cour européenne des Droits de l'Homme et une saisine directe du Conseil constitutionnel (sur ce point, j'ignore quel levier sera actionné : pour moi, le Conseil peut être saisi, avant l'adoption d'une loi, par les parlementaires ou le président de la Rép', et, après l'adoption, par l'une des parties dans un procès en cours). Go Ruffin, go ! :) ;
- Le 4 mai 2023, la CEDH a jugé irrecevable le recours. Ruffin et Fakir s'étaient constitués partie civile et une CJIP permet d'obtenir réparation du préjudice au civil (Ruffin ne l'a pas fait car le pognon, et surtout celui de LVMH, ne l'intéresse pas). La question pénale demeure : une CJIP peut-elle éteindre une éventuelle atteinte à la vie privée et à la liberté d'expression ?