Des vraies vaches paissent dans une prairie. Surgit un immense robot du genre martien, avec jambes à roulettes, caméras et capteurs. Il tourne autour d’elles, les rassemble en troupeau… « Ces robots sont actuellement en test en Australie, explique un chercheur en commentant les images. Au début, les vaches avaient peur de la machine, mais elles se sont habituées. »
Les 11 et 12 décembre, le Forum international de la robotique agricole (fira) a attiré à Toulouse des milliers de professionnels. A son initiative, une bande de start-uppers de Naïo, connus pour leur petit robot sympa qui permet de « libérer l’agriculteur bio du désherbage répétitif pour qu’il puisse se concentrer sur la biodiversité ». Et ce n’est qu’un début…
Roboratif
Ainsi le projet de ces ingénieurs anglais : « Un hectare sans les mains » (Hands Free Hectare). Et pas que les mains ! Pendant deux ans, ils ont cultivé une parcelle de blé en se pliant à cette contrainte : « interdiction formelle deposer un pied dans le champ ». C’est un ballet de machines — véhicule autonome de reconnaissance, drone, tracteur et moissonneuse sans conducteur — qui ont assuré le labour, l’application de pas moins de six traitements chimiques et la récolte.
Venue spécialement des Etats-Unis, la directrice de Microsoft Agriculture se fait fort d’« aider les agriculteurs » grâce à l’intelligence artificielle. Exemple : cette expérience menée avec 250 paysans indiens. Grâce aux données fournies et traitées par Microsoft, ils ont reçu des SMS en langue locale, traduits par des algorithmes, pour leur dire quand il fallait semer ou arroser. On dit merci qui ?
Au nom de la FAO, organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, un ingénieur italien explique que les pays en voie de développement doivent passer d’urgence de la small farm à la smart farm (de la « petite ferme » à la « ferme intelligente ») : « Dans la small farm, le travail est encore manuel et emploie la traction animale ; les paysans tirent leur savoir-faire des connaissances de la communauté, des ancêtres. Il faut la remplacer par la smart farm, fondée sur les machines autonomes et l’Internet des objets. »
Système d’exploitations
Mais il y a un obstacle. Montrant une carte de la France et une de la Zambie (de superficies comparables), il se lamente : « Même en France, la 3G est limitée aux zones urbaines. Il n’y a pas encore la 5G ! » Et, en Zambie, presque rien : un désert. Pour nourrir l’Afrique, commençons par l’alimenter en 5G. Imparable.
« Attention, fait remarquer Christiane Lambert, la présidente de la très productiviste FNSEA, il faudra veiller à l’acceptabilité sociale pour ne pas reproduire les blocages créés par les OGM. » Justement, voilà qu’il en surgit un, de blocage. Une vingtaine de personnes font irruption sur la scène, déploient des banderoles et s’emparent des micros. Ils sont maraîchers, paysans, boulangers, éleveurs.
Plusieurs disent avoir quitté le métier d’ingénieur pour mettre les mains dans la terre. Un jeune homme : « J’étais développeur dans une boîte d’informatique. Je sais ce que signifie s’en remettre à des algorithmes et des programmes pour se simplifier la tâche : c’est exactement ce dont j’ai voulu m’éloigner. J’ai trouvé dans mon quotidien des marges de liberté qui n’existent plus ailleurs. J’ai appris à lâcher prise parce que, avec des animaux, avec le vivant, on ne peut pas tout contrôler. » Et de conclure : « La robotisation finira par éradiquer ce qu’il reste de paysannerie. Vous travaillez à notre disparition. »
Mais non, mais non…
Dans le Canard enchaîné du 19 décembre 2018.