Delevoye refuse de regarder les détails qui tuent.
Plus que deux séances de négociations avec chacune des huit organisations syndicales et patronales, et Jean-Paul Delevoye pourra rédiger son fameux rapport sur la réforme des retraites. Le commissaire du gouvernement s’est attaqué à ce chantier avec la foi d’un bâtisseur de cathédrale, mais Macron posera les dernières pierres : les décisions difficiles ont été courageusement remises à plus tard.
La principale concerne la future valeur du point de retraite. Delevoye a refusé de fournir le moindre chiffre aux syndicats : ni celui du prix d’achat de ce point, lorsque les intéressés constitueront leur bas de laine pour leur retraite, ni celui de la valeur de chaque point dans le montant de la pension. Ce mutisme suscite l’ire des syndicalistes : « On nous demande pratiquement, affirme l’un des interlocuteurs favoris de Delevoye, de signer un blanc-seing au gouvernement. Or on ne sait même pas si ces chiffres seront votés avec la réforme en 2020 ou si le gouvernement attendra de les annoncer en 2025 lors de sa mise en application. »
Autre décision laissée en suspens : la part de la richesse nationale consacrée à la retraite. Le haut-commissaire s’est refusé à préciser si le gouvernement conserverait le taux actuel, fixé à 13,8 % du PIB. La réponse réside précisément dans la valeur du point. La diminuer permettrait de contraindre les sexagénaires flemmards à rester plus longtemps au boulot… sans toucher au totem de l’âge légal. Il suffirait de réduire de quelques centimes cette valeur, et le tour serait joué.
Châtier les fainéants
La France pourrait alors entrer dans les canons de l’OCDE, qui, au doigt mouillé, a établi à 12 % du PIB le coût idéal des retraites. Avec 13,8 %, elle en est relativement loin. « Tout le problème, indique l’ex-président d’un régime de retraite, est que les pays de l’OCDE qui sont à 12 % ont des taux d’invalidité plus élevés de 2 à 2,5 % que celui de la France. Et cette invalidité sévit surtout chez les personnes âgées. » Vaut-il mieux être un vieux salarié invalide ou un jeune retraité en bonne santé ? La question n’a pas été retenue pour le grand débat. Dommage…
Delevoye s’est également refusé à préciser si le futur système unique géré par l’Etat avalerait tout cru l’ensemble des régimes. Matignon a déjà prévu des gâteries pour les populations électoralement sensibles. Ainsi des professions libérales (assises sur des réserves impressionnantes) et des agriculteurs, qui conserveraient leurs régimes spéciaux. En revanche, les 70 milliards de réserves que l’Agirc-Arrco (les régimes complémentaires des salariés de base et des cadres du privé) avait économisés pour faire face aux périodes de vaches maigres vont tomber dans les caisses de l’Etat. Un braquage légal…
Ces gens-là réfléchissent à l'envers. Ils fixent un coût maximal puis ils bidouillent pour ne pas le dépasser. Ils ne se demandent pas quel système de santé ils veulent pour ensuite en calculer le coût puis identifier des solutions de financement. Non, il faut d'abord calculer et voir ensuite ce qu'on peut se permettre pour ce montant prédéfini… Le politicien est pourtant censé offrir une vision, un but, quelque chose de plus que le terre-à-terre… Quelle tristesse…
Dans le Canard enchaîné du 17 avril 2019.