Le massif du Mont-Blanc, les gorges de l’Ardèche, la dune du Pilat… Tous ces joyaux du tourisme made in France font partie des 2 700 sites classés selon la loi du 21 avril 1906. Quelque 1,1 million d’hectares de paysages français, soit 2 % du territoire, sont ainsi protégés de l’appétit des promoteurs. De façon simple et diablement efficace : tout projet d’aménagement notable envisagé sur ces sites — défrichage, agrandissement d’un bâtiment, création d’une passerelle — doit obtenir l’aval du ministère de l’Environnement, et passer sous les fourches caudines des inspecteurs des sites classés. Les changements mineurs, quant à eux, sont confiés au préfet.
Un projet de décret, daté du 12 avril, signé par le Premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, prévoit que toute autorisation d’aménagement sera désormais délivrée localement par le préfet, lequel, on le sait, est généralement un ardent défenseur de l’environnement, insensible aux pressions amicales des notables et des entrepreneurs du coin… ll s’agit de « prendre les décisions au plus près du territoire afin de favoriser le dialogue avec les porteurs de projets », explique au « Canard » le cabinet du Premier ministre, ajoutant que cette décision est « dans la ligne de ce qui a émergé du grand débat ». Ah bon ?
Parer au plus préfet
Alexandre Gady, professeur à la Sorbonne (« Le Figaro », 5/4), s’inquiète : « Dans des lieux à forte pression immobilière, où des projets sont repoussés avec constance depuis plusieurs années, comme en Val de Loire ou sur la Côte d’Azur, on risque d’assister à un bétonnage de sites exceptionnels. »
Ce que confirme David Couzin, président de l’Association des inspecteurs des sites et des chargés de mission paysage : « On va voir fleurir les projets d’hôtels cinq étoiles dans les prochains mois, je peux vous le dire ! Les promoteurs connaissent les ficelles locales pour faire passer des projets qu’on repousse depuis des années. Par exemple, dans les Pays de la Loire, l’agrandissement du stade du FC Nantes, des aménagements pour touristes sur le lac de Grand-Lieu, une passerelle géante au-dessus de l’Erdre, etc. Ce décret va mettre en l’air un dispositif qui a un siècle et qui a permis de sauvegarder les paysa- ges remarquables et leur biodiversité. »
Le nouveau monde sera moche, ou ne sera pas !
Hum… J'avais jamais trop pensé à ça : les décisions prises à l'échelle locale sont facilement influençables par les gens et entrepreneurs du coin, la proximité permettant de connaître les ficelles. Mais, d'un autre côté, les décisions prises à des échelles supérieures sont influençables par les grosses sociétés commerciales (inter)nationales via les réseaux d'amitié et les cercles de pouvoir. Pas de solution idéale si ce n'est de renforcer un contre-pouvoir judiciaire ? On notera que la loi Macron de 2015 a réduit les délais et les possibilités d'action des associations de défense de l'environnement en matière de construction, y compris sur sites classés…
Dans le Canard enchaîné du 15 mai 2019.