Double discours du gouvernement français : d'un côté, pleurer sur la déforestation de l'Amazonie pour cause d'agriculture intensive, de l'autre virer des arbres protégés au Kazakhstan afin d'extraire de l'uranium pour nos centrales nucléaires en injectant de l'acide dans la roche. Mais, après tout, c'est pas grave, « c'est une toute petite parcelle ». Les petits compromis forment les grandes compromissions.
En plein trémolo présidentiel sur la « forêt qui brûle » et la biodiversité, le gouvernement français ne s’est pas vanté de ce succès : lors d’un discret déplacement au Kazakhstan, le 30 juillet, Bruno Le Maire a obtenu des nouveaux dirigeants du cru le déclassement d’une forêt protégée : 382 ha sont désormais promis à la destruction…
Ces arbres, appelés saxaouls, font pourtant l’objet d’un moratoire au Kazakhstan : depuis 2017, les au— torités locales en interdisent la découpe et la vente. « Au début de cette année, les Kazakhs ont même prolongé cette protection jusqu’en 2022 », précise au « Canard » l’un des journalistes de Novastan, le site spécialiste de l’Asie centrale qui a révélé l’info.
Las ! cette parcelle boisée est implantée… sur des terres riches en uranium. Et, lorsque Orano (ex—Areva) a obtenu le permis d’exploiter le minerai en octobre 2018 (via une coentreprise locale), le décret kazakh obligeait de conserver les arbres. Or la technique d’extraction retenue par le géant du nucléaire (qui consiste à injecter de l’acide dans la roche) impose d’abord un « nivellement » du site, et donc la disparition des végétaux.
Une embûche que la visite de Bruno Le Maire, assortie de la promesse d’une « compensation » financière par Orano, a permis de lever : dès le lendemain de la venue du ministre français, le gouvernement du Kazakhstan publiait un décret qui transformait cette zone forestière’protégée en… zone minière. Adieu, les saxaouls !
Orano jure que le site sera « réaménagé au plus près (sic) de sa configuration initiale » à l’issue de son exploitation. Au cabinet de Bruno Le Maire, on insiste sur le « caractère absolument stratégique » de cette mine d’uranium pour le nucléaire tricolore, et l’on avance cette justification :« 302 ha détruits sur une steppe boisée de 700 000 ha, c’est quand même une toute petite parcelle ! »
Un argument qui va faire fureur en Amazonie !
Dans le Canard enchaîné du 28 août 2019.