Les flics auteurs de violences contre des manifestants peuvent-ils se retrouver aux assises ? Question explosive alors que, depuis des mois de manifs, les bavures commises à l’encontre des gilets jaunes s’accumulent… Réponse : dans un réquisitoire du 27 février, le parquet de Paris propose de renvoyer en correctionnelle un policier pourtant accusé d’un crime.
Place de la République, le 15 septembre 2016, Laurent Théron, syndicaliste SUD-Santé, manifeste contre la loi Travail. Les CRS chargent ; après une déflagration, l’homme ressent une intense douleur à l’œil droit et ne peut plus l’ouvrir. Après son hospitalisation en urgence à l’Hôtel-Dieu, diagnostics et expertises s’enchaînent des mois durant, jusqu’à cette conclusion, le 22 mars 2017 : le voilà « définitivement aveugle de l’oeil droit ».
Le parquet sur les dents
Confiée à l’IGPN — la police des polices —, l’enquête établit que la blessure est due au lancer non conforme d’une grenade à main de désencerclement (GMD), effectué par un CRS qui n’en avait pas reçu l’ordre. Le parquet de Paris poursuit d’abord ce brigadier-chef pour avoir « volontairement commis des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». Un crime jugé aux assises et puni de 15 ans de réclusion criminelle lorsque l’acte a été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique
Infirmité ? Mon œil !
Mais, le 27 février dernier, revirement du même parquet. Dans son réquisitoire définitif, pourtant très sévère envers le brigadier, il requalifie juridiquement les faits, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ». En clair, et afin que le policier échappe aux infamantes assises, le procureur tempère : « aucune expertise n’a établi une incapacité permanente », et le syndicaliste aurait évoqué la « possibilité de se faire poser un implant ». La perte définitive d’un globe oculaire (remplacé par un œil de verre) ne serait donc pas « permanente » ?
« Je suis très étonné de ces réquisitions de pure opportunité », s’indigne Julien Pignon, l’avocat de Laurent Théron, qui, derrière le cas de son client, voit se profiler ceux des dizaines de gilets jaunes mutilés et des policiers qui les ont blessés…
Les deux juges d’instruction chargés de l’affaire ont décidé, le 22 mai, de ne pas suivre l’avis du procureur et de renvoyer l’affaire devant les assises…
Au final, cela termine bien grâce aux juges d'instruction indépendants, mais cela illustre, une énième fois, la laisse du pouvoir exécutif autour des cous des parquets pénaux ainsi que la volatilité de la farce que nous nommons « justice » (faiblement coupable un jour, lourdement coupable un autre jour, etc.).
Dans le Canard enchaîné du 22 mai 2019.