Sur le boulevard de Charonne (Paris 11e), cet ancien poste de transformation électrique érigé en 1929, et propriété de la Ville de Paris, fait partie de la trentaine de sites parisiens qui font l’objet d’un appel à projet de la municipalité, intitulé "Réinventer Paris". Dans le cadre de ce concours d’architecture visant à réhabiliter des lieux laissés vacants, le "Transfo" pourrait abriter d’ici quelques années la résidence d'un certain nombre de médias dits indépendants, baptisé "Maison des médias libres". Le projet fait en tout cas partie des quatre dossiers retenus par la municipalité. Un projet déjà avancé, puisqu’après avoir passé une première phase de sélection, le dossier "Maison des médias libres" a été retenu en finale. Les auditions auront lieu en septembre, pour une attribution possible d’ici la fin de l’année.
Une maison des médias libres ? Le projet est dans les cartons depuis trois ans déjà, né de la rencontre entre un millionnaire, ex-cadre dans l’industrie, du nom d’Olivier Legrain et d’un certain nombre de médias se définissant comme indépendants, à savoir : Mediapart, Politis, le site Basta, le magazine Alternatives économiques, la web télé la Télélibre et la revue Esprit. Ces médias, marqués à gauche, forment aujourd’hui le comité de pilotage du projet. Dans leur sillage, une bonne vingtaine de médias potentiellement intéressés, se sont associés diversement à la réflexion, à l’image de la société de production Premières Lignes (Cash Investigation), du site d’info Reporterre, du groupe de média So Press (Society, So Foot), du magazine Kaizen ou encore d’Arrêt sur images et de Hors-Série (voir ci-dessous l’encadré de Daniel Schneidermann). Plus récemment, le site Les Jours a lui aussi exprimé son soutien à la création d’une maison des médias libres.
L’intérêt de se regrouper ? La Maison des médias ambitionne d’être "un lieu de rencontre et de partage" entre les rédactions qui pourraient mettre à profit ce rapprochement pour mutualiser des équipements et des moyens techniques, mais aussi pour s’associer éventuellement sur des projets éditoriaux comme des enquêtes collaboratives. […]
C’est toute l’ambition d’Olivier Legrain qui face à l’extrême concentration des médias français espère voir émerger "un lieu de contre-pouvoir". A 65 ans, l’homme témoigne avant tout d’un parcours de cadre dirigeant dans l’industrie chimique et de matériaux de construction. Président du groupe Mersen d'origine française (expert mondial des spécialités électriques) cet économiste de formation, a d’abord enchaîné les postes de direction chez Rhône-Poulenc avant de devenir dans les années 2000 PDG du groupe de matériaux Materis (peintures, mortiers, adjuvants) dont il a piloté la sortie de la maison mère Lafarge. Comment a-t-il fait fortune ? "Grâce à des rémunérations magistrales ? A un ruissellement de stock-options, d’actions gratuites et de retraites chapeaux ? Non, pire encore : grâce à un enchaînement de trois LBO (leverage buy out) en moins de dix ans", ironisait il y a peu Libé au sujet de ce "millionnaire de gauche", "ex-communiste" et admirateur de Michel Rocard, passé maître dans cette opération financière d’acquisition par effet de levier. Un procédé qui, rappelait Libé, consiste "à s’entourer de fonds d’investissement pour racheter sa propre boîte à grands coups de dettes. A lui de faire dégager beaucoup de cash à l’entreprise pour rembourser le passif, puis de la revendre avec une juteuse plus-value." […] Avec la Maison des médias libres, Legrain pourrait mettre la moitié de son patrimoine sur la table. "Cela pourrait lui coûter 20 millions d’euros avec les travaux", glissait Edwy Plenel à Libé il y a un mois […]
Olivier Legrain est l’investisseur principal du projet, mais pour quelle gouvernance ? En fait la création de la Maison des médias libres serait portée par une SCI, société civile immobilière créé pour l’occasion et réunissant, selon les premières projections, Olivier Legrain, et pourquoi pas Etic, une société foncière, spécialisée dans l’immobilier de bureau à destination du secteur de l’économie sociale et solidaire. […] Les médias résidents paieraient un loyer et seraient impliqués dans la cogestion du lieu (sous forme d'association de résidents ? De groupement d'intérêt économique ? le modèle reste à définir, semble-t-il). […]
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Nous poussent plutôt à accepter, la perspective stimulante de synergies intellectuelles, la mutualisation d'outils (en premier lieu, d'un plateau d'enregistrement), ou encore, ça compte, l'opportunité de réduire nos charges diverses. En sens inverse, un site dont la raison d'être consiste à déconstruire les récits médiatiques peut-il harmonieusement cohabiter, et gérer des intérêts communs, avec plusieurs medias qu'il peut être amené à critiquer (et qui peuvent mal vivre ces critiques, cela s'est vu !) Paradoxalement, le regroupement de plusieurs rédactions dans un même lieu ne risque-t-il pas de produire un certain enfermement intellectuel, voire corporatiste ?
+1… Je crains l'enfermement intellectuel, un entre-soi (parisien et bobo-gauchiste) renforcé par un entre-soi de proximité, une baisse de la diversité des opinions émises, l'absence de critique des médias entre eux, etc. De plus, quel est l'intérêt d'un millionnaire de l'industrie d'investir possiblement 20 millions d'euros dans un haut-lieu de la presse indépendante ? Les personnes généreuses, ça n'existe pas, tout se paye.