Très très intéressante réflexion de gchampeau. Je la recopie ici parce que Facebook, bon…
Plus je pense au Monde et à son Decodex qui cherche à dire quels sont les médias respectables et ceux qui ne le sont pas, plus ça me fait penser à un vieil article que j'avais écrit il y a une dizaine d'années.
A l'époque on était encore en plein débat public sur la loi DADVSI (précurseur de l'Hadopi), donc sur la lutte contre les échanges d'œuvres en P2P, de la main à la main entre les internautes. Je venais de lire l'excellent "We The Media" de Dan Gilmore, dans lequel il prophétisait que l'État chercherait à s'attaquer au P2P, non pas pour protéger les droits d'auteur, mais surtout pour combattre la désintermédiation du partage de l'information.
A l'époque nous étions aussi en pleine explosion de la blogosphère. Tout le monde voulait avoir son blog sur lequel s'exprimer, et de fait beaucoup de monde l'avaient. A l'époque, on utilisait encore des lecteurs de flux RSS pour se tenir informé des publications des uns et des autres. Il n'y avait pas (ou peu) d'intermédiaire. Tout se faisait en direct, en pair à pair, donc en P2P...
Or ce que disait le ministre de la culture de l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres (RDDV), c'est qu'il fallait "s'attaquer au problème de la presse et de l'internet", avec une labellisation des sites de presse de qualité, écrits par des journalistes professionnels. Les blogueurs amateurs, eux, n'auraient pas le précieux label, que pourraient prendre en compte des logiciels de filtrage parental. En s'attaquant au P2P, en ostracisant les sites non labellisés, on regagnerait le contrôle sur l'information. A l'époque, le projet avait fait bondir la blogosphère, qui était très puissante, beaucoup plus finalement que la presse traditionnelle moribonde.
Dix ans plus tard, RDDV a gagné, mais pas comme prévu. La réintermédiation s'est faite, par notre propre faute. Qui a encore son blog aujourd'hui, à part quelques illuminés toujours mieux éclairés que nous ? Les Rue89, Figarovox, Le Monde, HuffPost, etc. sont venus agréger les blogs qui sont progressivement repassés au second plan. En tant qu'internautes on s'exprime tous désormais (la preuve) sur Facebook, Twitter, Instagram... Ce sont eux les intermédiaires qui choisissent ce qu'on peut ou ne pas dire.
Et pour ceux qui passent encore en P2P avec des blogs auto-édités, voilà que le projet de labellisation se fait par la presse elle-même. Par Le Monde et son Decodex. Sans doute avec la meilleure intention du monde, ils ont privatisé le projet de RDDV. Ici la pastille vert pour les bons (mais gare à ne pas tomber dans l'orange), ici la pastille rouge pour les pas bon. Il n'y a pas encore de filtrage parental, mais il y a l'extension Chrome ou Firefox qui dit "attention".
D'un certain côté, quand on voit par exemple ce qu'est hélas devenu Agoravox (à qui je ne jetterai pas la pierre, ce n'était pas simple à modérer), je comprends le besoin de labelliser. D'un autre côté, le problème principal de l'information aujourd'hui n'est pas que trop de monde s'exprime, c'est que plus assez d'entre eux sont visibles. A l'époque de la blogosphère, on débattait, on s'engueulait, on se répondait entre blogueurs. On n'avait pas les idées des autres et c'est précisément pour ça qu'on allait les lire. En tant que lecteurs, on s'enrichissait de tous les points de vue, et on se forgeait le nôtre. Qu'on exprimait, et qu'on mettait en débat. C'était vertueux.
Aujourd'hui nous avons Facebook qui choisit ce qu'on lit en fonction de (ce) qui va nous plaire. Le Monde, Libération, Le Figaro, etc., ont mis les blogs et leurs bloggueurs à l'arrière plan, pour ne plus avoir de points de vue qui choquent le lecteur et nuisent à leur marque. Même mon cher et tendre Numerama ne se risque plus que trop rarement à choquer le lecteur et ses confrères. Parce que nous sommes, globalement, passés dans une autre époque, où la confrontation des idées est moins importante que le fait de ne pas exprimer "les mauvaises idées". Et à force de ne plus les confronter, on ne sait plus très bien pourquoi une idée est mauvaise, ou pourquoi une idée est bonne.
L'article en question pour ceux qui veulent le lire : http://www.numerama.com/magazine/2698-rddv-precise-son-projet-de-censure-des-blogs.html