J'ai déménagé mon serveur perso (pas celui qui héberge ce site web). Retour d'expérience.
Historique et problématique
Initialement, ce serveur était hébergé chez moi, sur un Raspberry Pi puis sur un OLinuXino, et raccordé proprement au réseau (condition pour avoir un serveur emails fonctionnel) avec le VPN d'un FAI associatif.
Quand ces ordinateurs ont rendu l'âme (avant les cartes SD, comme quoi), j'avais une contrainte personnelle de forte mobilité. J'ai donc hébergé ce serveur avec les autres auprès d'associations auxquelles je contribuais techniquement et financièrement, ARN et Grifon.
Début 2019, par démotivation et désespoir, j'ai quitté le monde associatif. Comme il est inconvenant de faire porter une charge de travail (héberger mon serveur) sur des bénévoles sans contribuer réellement (ne serait-ce qu'à la prise de décision), j'ai déménagé au plus simple : OVH. Ça fait le boulot pour pas cher. C'était censé être temporaire. Mais la flemme s'est installée.
Mon problème est simple : mes emails arrivent de moins en moins jusqu'à leurs destinataires. Quand j'étais auto-hébergé ou chez des assos, seuls quelques fournisseurs emails hégémoniques donc casse-couilles me rejetaient comme Microsoft. À l'inverse, ces derniers mois, je suis tricard, temporairement ou non, chez pas mal d'autres fournisseurs : Infomaniak, Octopuce (qui utilise Spamhaus), SFR (ceci dit, même les serveurs de Gandi se font rejeter), FDN (qui utilise Spamhaus sur ses anciennes listes de discussion), etc.
Deux explications :
- J'utilise IPv6. OVH attribue une unique IP à chaque client. Or, la norme est d'attribuer un réseau /64 par client. Donc les mécanismes anti-spam bloquent à cette granularité. Donc au moindre voisin (de réseau) spammeur ou mal configuré, vlam, je suis pénalisé. Je suis ainsi listé dans la liste CSS de Spamhaus. Je les ai contactés : un voisin émet en IPv6 sans AAAA ni PTR associé, donc vlam. J'ai contacté ledit voisin : aucune réponse, bien entendu. J'ai contacté l'assistance d'OVH : aucune réponse satisfaisante, bien entendu (l'attribution d'un /64 est en projet, faire un signalement sur l'adresse abuse@). J'ai procédé au signalement abuse : aucune réaction. Quand bien même il y en aurait eu, le problème reviendrait au premier voisin mal-configuré, c'est sans fin ;
- Mon IPv4 et mon domaine ne sont pas listés dans une liste de blocage (soit on fait le tour des principales, soit on trouve des testeurs multi-listes dans un moteur de recherche). En revanche, OVH est réputé pour être un gros émetteur de spam. Donc, ses réseaux /24 (ou plus grand) et/ou son numéro d'AS sont listés dans des listes de blocage. Aucune solution.
Cahier des charges
- Je veux une organisation commerciale. Je ne souhaite pas m'impliquer dans une association ni faire porter une charge de travail (héberger mon serveur) sur des bénévoles sans contribuer réellement. De plus, j'ai déjà vu des comportements douteux d'adminsys associatifs, et je n'ai pas la motivation de faire le tri. Ça exclut les CHATONS (d'autant qu'au moins la moitié d'entre eux reposent sur des gros hébergeurs style OVH, Scaleway ou Hetzner ‒ source ‒) ;
- Je veux une machine virtuelle. Cela exclut beaucoup d'hébergeurs dont O2Switch, Netim, Weboupro, etc. ;
- Je veux une offre grand-public, une commande automatisée et un espace client qui me procure de l'autonomie dans la gestion quotidienne de ma machine virtuelle. Pas de devis ni de montage spécifique à ma personne ni d'infogérance. Là encore, ce critère exclut beaucoup d'entités dont Octopuce, FullSave, Evolix, etc. ;
- Je veux une société commerciale française avec des infrastructures en France et une majorité de ses affaires en France. Deux objectifs : 1) déterminer quelle législation s'applique (une grande partie de ma vie numérique passe par ce serveur perso) ; 2) favoriser des acteurs locaux (voir critère suivant). Ce critère élimine beaucoup d'entités dont Hetzner, Infomaniak, Amen (actionnaire italien, groupe européen), IONOS (ex-1&1), Gandi (qui, au début 2023, a fusionné avec une entité néerlandaise, sans compter la somptueuse augmentation des tarifs annoncée et la fin de services cool dont les emails inclus avec un nom de domaine), Oxabox, MonoVM, etc. ;
- Je veux une entité qui n'est pas marquée au fer rouge comme hébergeant des spammeurs, et qui propose un réseau IPv6 de taille /64 au minimum (lire la fin de la section précédente pour comprendre). Cela est difficile à évaluer objectivement. J'ai utilisé UCEPROTECT et Spamhaus (qui est massivement utilisé) pour vérifier le score de l'AS et de plusieurs réseaux IP de chaque hébergeur. Les chiffres portent sur les 7 derniers jours, donc il faut surveiller quelques semaines pour avoir une vision correcte. J'ai également privilégié les petites entités. L'idée est : plus c'est petit, plus c'est confidentiel, plus ça augmente la probabilité d'éviter les spammeurs et les serveurs mal configurés. Là encore, c'est difficile à évaluer objectivement. J'ai pris en compte le chiffre d'affaires déclaré, la taille du réseau (le nombre d'adresses IP), le contenu et l'aspect du site web (j'ai une expérience qui me permet de juger grosso-modo, tel un Etchebest dans Cauchemar en cuisine). Ça exclut Scaleway (trop gros, mais score spam OK), Ikoula (risque de spam en hausse ces dernières semaines) ;
- Je veux une connectivité décente aux autres réseaux français. Pour l'évaluer, j'utilise le looking glass du NLNOG, RIPEstat, et BGP HE ;
- Je veux les services et outils usuels : paiement par prélèvement ou virement bancaire, IPv6, VNC, mode rescue, reverse IP, etc. ;
- Je privilégie une infrastructure en logiciel libre (KVM, etc.).
Candidats
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MilkyWAN : je leur ai posé deux questions techniques (modèle d'hyperviseur et existence d'un VNC) en septembre 2022, pas de réponse. J'ai bien reçu l'accusé de réception émis par leur formulaire web.
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FirstHeberg (anciennement FreeHeberg) :
- Score spam quasi OK. Moyen mis en œuvre pour le conserver : demander un justificatif d'identité et de domicile. La loi dispose qu'un hébergeur doit collecter noms, prénoms, date et lieu de naissance, adresse postale, numéro de téléphone et adresse emails (mais les hébergeurs n'ont pas la charge de vérifier ces informations en collectant des justificatifs), donc ça ne me paraît pas être excessif ;
- Le réseau semble avoir IELO comme transitaire principal (HE et IP Max en sus). J'en ai plutôt une bonne image (bien connecté aux réseaux français), donc ça ne m'inquiète pas ;
- Site web et espace client épurés, pas trouzemilles scripts, feuilles de style, etc. téléchargés depuis trouzemilles prestataires. Google reCAPTCHA dans la page de contact et Google Fonts sur la page d'accueil tout de même.
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Ikoula :
- Score spam en hausse ces dernières semaines, plus élevé que Scaleway. Un réseau blacklisté ;
- Quelques merdes sur le site web dont jquery.
- Rachetée par Sewan en 2021. Agglomérat de différentes sociétés française, belge, espagnole, allemande, ricaine du monde des télécoms et de l'hébergement. 130 M€ de CA en 2021 (source = societe.com), soit plus que Scaleway. On s'éloigne de la petite entité.
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PulseHeberg :
- Site web derrière Cloudflare. Ça retire toute crédibilité. T'es hébergeur, mais t'es pas capable d'héberger ta vitrine ? Tu vantes ta capacité à résister aux DDOS, mais pas pour ton site web ? De plus, vu comment j'asticote un tas d'entité sur la non-conformité au RGPD que cela représente, laisser passer ça serait incohérent ;
- Quelques merdes sur le site web : Google Fonts, unpkg.com, etc. ;
- Un développement tourné vers l'international, notamment vers les États-Unis (leur site web annonce un futur centre de données à San Jose), donc un potentiel conflit de lois à cause du Cloud Act ricain.
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Ligne Web Services (LWS) :
- Site web derrière Cloudflare ;
- Adista en transitaire unique, ça craint un peu.
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OuiHeberg :
- Cloudflare ;
- Connectivité : IPv4 = que des prestataires étrangers dont j'ignore la qualité de leurs interconnexions avec les réseaux français ; IPv6 = uniquement Cogent qui s'est livrée à des guéguerres commerciales avec Google et Hurricane Electric, dont la conséquence était l'impossibilité d'accéder à ces réseaux depuis Cogent.
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OMGSERV :
- Cloudflare ;
- Numéro d'AS introuvable donc impossible de vérifier la réputation et la connectivité du réseau. S'adresse essentiellement aux joueurs en ligne qui sont rarement de bons adminsys, ce qui renforce ma défiance. (Sans compter Teamspeak qui facilite masse d'attaques volumétriques).
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ONETSolutions :
- Cloudflare ;
- Le numéro d'AS que j'ai trouvé annonce aucun préfixe IP, donc impossible de vérifier la réputation et la connectivité du réseau.
- Inulogic (anciennement Free-h) :
- Pas d'IPv6 ;
- Connectivité IPv4 : uniquement Cogent, ça craint.
Ordre de grandeur
Chiffres d'affaires 2021 :
- OVH : 556 millions d'euros ;
- Scaleway : 94 M€ ;
- Ikoula : 6,2 M€ (mais société d'un groupe dont la filiale française a déclaré 130 M€) ;
- FirstHeberg : 1,3 M€ (avec des activités de FAI fibre, téléphonie, etc.) ;
- PulseHeberg et LWS ne publient pas leur CA. Je n'ai pas cherché les autres entités vu qu'elles ne m'intéressent pas.
Source : societe.com.
Retenu
J'ai choisi FirstHeberg.
Concernant le port tcp/25 (email), il est bloqué uniquement en sortie et en IPv4. Mes justificatifs caviardés (j'ai conservé les seules infos légalement obligatoires, cf. ci-dessus) ont été acceptés. Contrairement à ce que prétend le site web, le port tcp/587 n'est pas bloqué.
L'espace client ne permet pas de définir un reverse IPv6, mais une demande d'assistance permet de l'obtenir.
L'assistance est plutôt réactive et les réponses sont plutôt de qualité.
Évidemment, tout n'est pas parfait :
- Propos publics éruptifs (sur le coût de l'électricité, par ex.) ou plaintifs (sur le coût des attaques DDOS il y a quelques années, là où d'autres gens du métier y voyaient une absence d'anticipation et/ou des mauvais choix techniques en connaissance de cause) ou contraire à mes convictions (sur la neutralité du réseau) tenus par le patron. (Twitter est désormais un réseau fermé, donc impossible de pointer les propos, sans compter que telle n'est pas mon intention) ;
- Lacunes techniques (VNC en panne quasiment une semaine, pas de prélèvement bancaire, la section facturation de l'espace client, IPv6 pas au même niveau d'intégration qu'IPv4, rejet des adresses emails contenant un délimiteur « + », etc.) et rédactionnelles qui entraînent de la confusion (sur le site web et l'espace client, genre écart entre ce qui est annoncé et pratiqué, comme la définition du mdp ou le déblocage du port tcp/25). J'ai remonté tout ça à l'assistance.
On verra comment ça se passe à la longue.
Procédure de migration
Mon système Debian GNU/Linux est chiffré en intégralité (sauf /boot, même si GRUB permet de s'en passer).
Même procédure que d'habitude. J'ai rencontré aucun des problèmes mentionnés. Ni partition mal copiée ni difficulté pour monter les partitions fraîchement copiées.
J'ai changé la phrase de passe du conteneur chiffré (cryptsetup luksAddKey /dev/sdX
+ cryptsetup luksRemoveKey /dev/sdX
). J'en ai profité pour passer sans encombre à la version 2 de LUKS (cryptsetup convert --type luks2 /dev/sdX
) et à l'algo de dérivation de clé argon2id (cryptsetup luksConvertKey --pbkdf argon2id /dev/sdX
).
Prenant en compte la panne du VNC (cf. ci-dessus), j'ai mis en place un système me permettant de saisir la phrase de passe de mon système chiffré via SSH.