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——————————— Saturday 21, October 2017 ———————————
fiche-lecture -

Podemos, la politique en mouvement - ladispute

Je me posais beaucoup de questions sur le mouvement social espagnol des Indignés et sur Podemos, le parti politique engendré par ce mouvement. J'ai déniché ce livre alors que je flânais dans une librairie…

Après lecture, je suis toujours aussi mitigé sur Podemos…

D'un côté, il fait de la politique autrement (populisme de gauche, outils numériques, cercles locaux de réflexion, style vestimentaire populaire au parlement, etc.), il a fait exploser le bipartisme gauche socialiste + droite libérale historique, il a rendu vivante la démocratie participative pendant quelques temps, etc.

De l'autre, il n'y a rien de neuf dans la formation du mouvement : les fondateurs mouillent dans le milieu intellectuel aisé (coucou, les bobos), les discussions sur les places et les outils collaboratifs ont été utilisés avant Les Indignés, le mouvement s'est très vite compromis pour devenir un parti "classique" (vertical, éloigné de sa base, le mode représentatif remplaçant le mode participatif et les cercles locaux devenant vite des antennes locales du parti, etc.) dans l'optique de remporter les élections (adieu, l'encapacitation citoyenne initiale, adieu élections basées sur des idées, bonjour élections basées sur le charisme et la popularité, etc.).

Tout ça, tous ces renoncements pour finalement reconduire les partis politiques historiques (PP et PSOE) dans leurs fonctions et se payer une présence locale par-ci, par-là… Le FN fait tout pareil en France… Je crois de plus en plus au plafond de verre qui empêche toute formation politique qui ne fait pas partie du bipartisme, sorte "d’ordre naturel des choses", d'arriver au pouvoir au niveau national. Pour le confirmer, il faut attendre les prochaines élections et vérifier que Podemos s’inscrit durablement dans le paysage politique espagnol.

Pour résumer : je salue l’immense travail abattu par Podemos, mais je reste déçu : fallait-il vraiment se compromettre, renoncer au participatif pur et à l’encapacitation citoyenne comme premier objectif pour parvenir à ce stade ? Était-il vraiment plus important de tenter de gagner les élections que d’encapaciter les citoyen⋅ne⋅s ? Ce faisant, n'a-t-il pas perdu son utilité (encapaciter les citoyen⋅ne⋅s) ? Une démarche puriste n'était-elle pas envisageable pour parvenir au même point ?

J'aime beaucoup ce livre, car il ne se contente pas de présenter les Indignés / Podemos, mais il présente aussi le contexte politique et social qui a permis l'émergence et la croissance de Podemos. Il décrit Podemos comme un grain de sable dans un ensemble plus vaste. Il reste relativement honnête sur les apports et les résultats de Podemos.

J'en recommande vivement la lecture.



Quelques notes :

  • Contexte international qui fait naître les Indignés / Podemos : la crise grecque et l'évidence que l'Espagne sera la suivante, le référendum constitutionnel islandais, le Printemps arabe, les crises portugaise et chilienne ;

  • Contexte national (liste non ordonnée) :

    • La crise économique et sociale qui fait exploser le chômage et la misère et illustre la corruption des élites qui continuent à renflouer les banques, qui continuent de jouer aux portes-tournantes (aller-retour entre responsabilités politiques et poste grassement payé au sein du CA d'entreprises qu'elles ont privatisés durant leur mandat), qui continuent de détourner des fonds publics, notamment les fonds de préretraite censés venir en aide aux victimes de licenciement économiques, financement douteux/illégaux des partis politiques traditionnels, etc.

    • 4 crises de confiance : la guerre d'Irak (qui fait prendre conscience du fossé qui sépare le peuple et les élites gouvernantes), les attentats islamistes de 2004 (après lesquels le gouvernement ment ouvertement en accusant l'ETA dans le but de se maintenir et de remporter les élections qui approchent, ce qui suppose que le bon peuple ne fasse pas le lien entre cet attentat et l'engagement de l'Espagne en Irak), crise du logement (bulle immobilière découlant d'une loi de 1998 rendant tout terrain constructible par défaut, sans l'avis de la mairie, ce qui entraîne de l'investissement et de la construction en masse), et loi Sinde (HADOPI-like, qui fait naître le militantisme en ligne sur lequel s’appuiera Podemos) ;

    • Rupture du consensus autour du régime de la Transition. À la chute du francisme, il a fallut négocier un accord entre francistes et républicains pour, soi-disant, éviter une guerre civile. Nouvelle Constitution, réforme économique, amnistie des bourreaux. Tout ça n'a jamais été remis en question pendant 30 ans, toutes les décisions politiques étaient justifiées par ce "nouvel ordre national", par ce récit national.
  • Face à tout ça, il y avait déjà eu des mouvements sociaux d'occupation de l'espace public et des places, des défilés au son de casseroles, des plateformes citoyennes en ligne, etc.

  • Début (vers 2008-2009) : des enseignants-chercheurs veulent expérimenter de nouveaux lieux de débats et acceptent de créer et d’animer une émission sur une chaîne TV locale (2010). Objectifs : discuter en dehors des sentiers battus et formater le discours pour donner du sens aux idées ;

  • Suite aux mouvements sociaux découlant des événements listés aux points précédents, ces mêmes intellectuels décident de tenter de convertir l'indignation générale en changement politique lors des élections européennes de 2014. C'est la naissance de Podemos. Ce parti répond à un appel d'air, à un besoin : les cercles locaux se sont créés dès la publication du manifeste et avant l'officialisation du parti (sauf dans les régions dans lesquelles d'autres projets de gauche forte existaient antérieurement, comme en Galice). ;

  • Fonctionnement de Podemos :

    • Outils : pads, agora voting (discuter et voter), reddit, l'institut 25M pour la démocratie (proposer des textes de réflexion, des analyses de fond, des débats, faire naître et entretenir un mouvement de pensée critique, etc.), etc. ;

    • Discours : « populisme de gauche » (comme Ruffin) : construire des identités fortes pour fédérer la caste : "ceux d'en bas versus ceux d'en haut", "riches contre pauvres", etc. Reformuler la lutte des classes façon Marx, en somme. Je m'interroge : est-ce ce discours qui attire (il n'est pourtant pas nouveau…) ou l'affect, le fait de se sentir concerné (étant donné les retombées espagnoles de la crise économiques de 2008…) couplée à l’absence d'une extrême-droite espagnole forte et structurée au plan national ?

    • Financement par des dons, des petits prêts et le financement participatif (pour l'achat d'une fourgonnette ou la location d'une salle de meeting, par exemple) afin de ne pas subir de pressions politiques des banques qui, en général, exigent du parti vainqueur des mesures législatives ou réglementaires en échange d'une remise de dette ou d’un refinancement de celle-ci.
  • Limites de Podemos :

    • Podemos s'est très vite compromis dans l'espoir de remporter les élections : Pablo Iglesias renonce à son look habituel pour ne pas faire fuir les votant⋅e⋅s potentiel⋅le⋅s ; Le visage d'Iglesias est imprimé sur les bulletins de vote pour bénéficier de sa popularité (acquise avec l'émission TV, voir points précédents) au lieu du logo du mouvement, comme la base le voulait ; Délai trop court (1 semaine) pour présenter des listes de candidats (avec un programme), ce qui entraîne le choix forcé de la liste conduite par Iglesias… ; Ce ne sont plus les idées qui percent mais le charisme et la popularité médiatique de ceux qui les défendent… ; Jeu des alliances (et donc dissolution des idées) afin d'espérer gouverner ; etc. ;

    • Le fonctionnement démocratique au sein de Podemos change aussi du tout au tout durant les campagnes électorales. Le débat entre « on est là pour gagner » et « on est là pour encapaciter les citoyen⋅ne⋅s et accessoirement pour gagner » fait rage. Finalement, c'est la verticalité, les chef⋅fe⋅s élu⋅e⋅s qui l'emporte. Iglesias dira : « Le ciel ne se prend pas par consensus, le ciel se prend d’assaut »… Aucune chance que les mesures permettant à la base de se faire entendre, comme le référendum, puissent être activées, étant donné les seuils imposés dans les statuts… Podemos perd son aspect participatif pour devenir représentatif. Certes, moins que tout autre parti politique, mais quand même… Dommage… ;

    • La caste (la minorité de gens qui vit bien) dénoncée par Podemos, c'est aussi Podemos. Le parti est tenu par des intellectuel⋅le⋅s et des enseignant⋅e⋅s-chercheur⋅se⋅s (qui représentent une petite frange de la population), par des consultant⋅e⋅s, etc. qui ont des beaux trains de vie (exemple : le numéro 3 de Podemos fût consultant pour le Venezuela de Maduro et fût rémunéré 425 000 € … … …). Cela sera utilisé par les vieux partis pour tenter d’illustrer que Podemos est tout autant de la veille politique qu’eux ;
  • Pour décrédibiliser Podemos durant les campagnes électorales, les vieux partis joueront la partition habituelle : assimiler Podemos à la dictature de Maduro (à cause des activités du numéro 3 de Podemos, lire ci-dessus), flinguer, au niveau de l'UE (le PP, parti au pouvoir est, à ce titre membre du Conseil de l'UE ;) ) les initiatives de refinancement de la dette grecque initié par SYRIZA afin de dénoncer le manque de sérieux politique d’un projet politique identique en Espagne, assimilation à l'ETA quand Podemos dénonce simplement les conditions d'enfermement loin de leur famille des membres d'ETA… ;

  • Stratégie et résultats électoraux :

    • Élections européennes 2014 : 5/54 sièges ;

    • Élections municipales 2015 : Podemos fait le choix de soutenir des candidatures locales auto-organisées, car il est impossible de vérifier le passé de 8 000 maires et de 67 000 conseillers et si un⋅e seul⋅e candidat⋅e corrompu⋅e passe, la réputation du mouvement en prendrait un coup. De plus, la logistique est intenable au niveau national, il faut de l'activisme local. Grace à cette stratégie et au mode de scrutin (la personne arrivée 2e aux élections peut être maire), Podemos devient le troisième parti ;

    • Élections générales 2015-2016 : 20 % des sièges. Podemos provoque la fin du bipartisme historique. Aucune majorité ne se dégage pour obtenir le quorum pour nommer le président du gouvernement, ni une alliance PP + Ciudadanos, ni une alliance PSOE + Podemos + Izquierda Unita. Aux nouvelles élections forcées, PP + PSOE l'emporte, reformant ainsi la coalition gouvernementale historique, signe que rien ne changera d’aussi tôt en Espagne… Notons toutefois que Podemos a réuni la même proportion de voix que le PSOE historique ;
  • La citation approximative de la fin : le pouvoir réside là où les Hommes croient qu'il réside. C'est une ombre : une petite personne peut avoir une ombre imposante.
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