Très intéressant feedback sur les SSII : actualisé, sans aigreur, avec des arguments fondés qui vont au-delà de la simple technique. J'en recommande la lecture.
Ce texte a plutôt pour vocation à éclairer les futurs candidats sur les conditions qu’on peut rencontrer dans une SSII. Comme beaucoup maintenant, je considère qu’une SSII est un bon tremplin pour un jeune diplômé, mais qu’il faut aussi savoir tourner la page quand on sent que ça peut déraper.
La diversité des domaines permet de monter en compétence rapidement et de toucher à plein de sujets et de technos différentes, chose qu’il est beaucoup plus difficile de réaliser sur un poste fixe dans une société standard où votre poste n’évoluera que très peu. Mais les conditions de travail n’y sont pas toujours très roses, et il faut en avoir conscience, surtout si comme moi on a des difficultés à ne pas pouvoir faire son travail correctement (au sens de l’état de l’art).
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2012 . L’année charnière. La crise est passée par là (même si elle a à mon avis bon dos), les relations clients deviennent plus difficiles. Les budgets ne sont plus là, les délais non plus. Les projets continuent à rentrer mais la concurrence entre SSII fait que les prix sont tirés vers le bas, chacun voulant rentrer des projets et les volent aux autres en massacrant les prix. Les clients n’ont plus les yeux en face des trous et en tout cas des moyens totalement décalés par rapport à leurs besoins.
Les clients ont commencé à inventer de nouveaux modes de gestion de projet, avec des notions de « POC (preuve de concept) » (comprendre du code kleenex que si ça marche on garde, si ça ne marche pas on jette, et que dans les 2 cas, on cherche à ne pas payer le fournisseur quand même), de « challenge » (comprendre qu’on sait que c’est infaisable ce qu’on demande mais que tu pourrais quand même faire un effort quoi).
Les méthodes agiles ont aussi eu le malheur de devenir le buzz-word du moment, et du coup sont apparues dans les plaquettes et propositions commerciales. Sauf qu’elles sont devenues la justification pour faire n’importe quoi, comme ne plus du tout faire de spécification, supprimer les tests unitaires ou la revue de code, ou encore livrer n’importe quoi très vite.
Les développeurs se retrouvent du coup avec des projets sous-vendus (50 à 100 jours max) et une qualité technique massacrée. L’intégration continue a disparu des écrans radars, tout comme la revue de code. Les équipes ne sont plus formées, le niveau technique global chute drastiquement, les « têtes » qui tenaient les projets à bouts de bras partent. Les chefs de projet senior sont remplacés par des juniors qui n’ont de chef ni la formation ni la volonté ni le charisme nécessaire pour tenir tête aux commerciaux et à la direction. Il n’y a même plus vraiment d’équipe projet, ou alors se résumant à un développeur débutant encadré par un développeur à peine plus senior propulsé chef de projet, tout étant dorénavant géré par les commerciaux en pratique.
2015 . Le coup de grâce. Les buzz-words sont de retour. « Big-data », « cloud », « IoT », « cyber-sécurité ». Plus aucun appel d’offre ne sort sans en contenir plusieurs sinon tous. On fait n’importe quoi, et cette fois non seulement d’un point de vue commercial et technique, mais aussi, et c’est encore plus grave, d’un point de vue éthique. Les projets qui dépassent les 10 jours-hommes se comptent sur les doigts d’une main et ceux avec plus de 2 personnes affectées dessus aussi.
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Vous l’aurez compris, je ne me sens dorénavant plus à ma place. Je n’ai plus le temps ni les ressources pour faire correctement ce que j’estime être mon travail.
Techniquement, je n’ai plus le temps de faire de revue de code, de former les nouveaux arrivants ou de mettre en place les outils pour faire du code de qualité, parce que les commerciaux gardent la main sur l’ensemble des manettes et ont transformé les ingénieurs en techniciens voire en ouvriers. Pas étonnant que les Chinois ou les Indiens grignotent de plus en plus le marché, ils coûtent 10× moins chers pour une médiocrité équivalente.
Éthiquement, les projets réalisés sont de plus en plus en contradiction avec mes idéaux, avec des objets connectés où la sécurité est bien le dernier des soucis et où la vie privée n’existe plus, même en option. Parce que le discours commercial ambiant est en contradiction totale avec les nécessités techniques, surtout dans une ère post-Snowden.
Humainement parlant, les délais sont intenables, le stress élevé, la pression aussi. Les moyens ne sont plus suffisants pour travailler, j’en arrive même à devoir héberger des projets sur mes propres machines parce que ceux qui devaient faire cette partie ne veulent/peuvent/savent pas le faire, faute de moyens et de temps. Parce que la rentabilité ne peut être maintenue qu’en sur-exploitant le personnel.
J’ai déjà plusieurs fois alerté ma hiérarchie sur les problèmes rencontrés, ça a conduit au mieux à tenter de me retourner les neurones à coups de justification bullshitto-marketo-commercialo-financier, en général à aucune action sérieuse qui suit et au pire à des prises de bec de plus en plus violente.
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Le travail en SSII est aussi un coup de roulette russe permanent, une épée de Damoclès. Si vous avez la chance de réussir à rester plus ou moins sédentaire au sein du bureau d’études pour réaliser les projets forfaitisés, vous pouvez contrôler a minima l’impact de votre vie professionnelle sur votre vie personnelle.
Mais si vous avez le malheur d’être envoyé en mission, parfois à l’autre bout de l’Île-de-France, vous pouvez être baladé tous les X temps (X variant de 3 mois à 10 ans) d’un client à l’autre, d’un lieu à l’autre, dans des conditions qui en plus sont théoriquement illégales au vu du Code du Travail (délit de marchandage et prêt de main d’œuvre illicite).
Si vous êtes parmi les chanceux du premier groupe, vous n’avez en plus pas intérêt à devenir le petit caillou dans la chaussure du service, sinon le second groupe vous tend rapidement les bras. Comme on dit, en SSII, le licenciement n’existe pas, on appelle ça « partir en mission »… :)
Dans mon cas, mon dernier départ en mission a aussi été synonyme du sacrifice de ma vie associative et collaborative. Il est en effet bien difficile de trouver du temps libre et de la motivation pour travailler sur des projets personnels quand vous faites 8h-20h « effectif » tous les jours, dont 3h de transport dans les bouchons (non comptés dans les temps de travail, merci la SYNTEC !). C’est à mon avis ce sacrifice qui a accéléré ma décision de partir.