Avant le prochain congrès, le patron du syndicat écarte les dirigeants et salariés “encombrants”.
Nous sommes à la fin de février, dans le bureau de Philippe Martinez. Mijo Isabey, l’une des plus anciennes dirigeantes de la CGT, fait son entrée, flanquée de son bras droit, dont elle entend plaider la cause. Cette responsable du dossier retraites doit en effet quitter son poste le 17 mai, après le congrès de Dijon. Or Martinez ne peut pas blairer celui dont elle veut faire son successeur.
Le « Général Tapioca » — son surnom à Montreuil — ne répond pas au bonjour des deux camarades. A peine s’il écoute les arguments égrenés par la militante en faveur de son poulain : des dossiers techniques nécessitant une méga-compétence, une négo difficile à mener, d’abord avec Jean-Paul Delevoye, le « Monsieur Retraite » de Macron, ensuite avec le gouvernement, etc. Martinez l’interrompt : « Tu m’emmerdes. Je ne changerai pas d’avis. »
Puis il change de cible. « On m’a rapporté que tu avais des problèmes avec les gars de ton équipe. » La future retraitée se récrie : « Bien sûr que non ! » Tapioca s’empourpre : « Donc tu dis que je suis entouré d’une bande de menteurs. Ça pose un problème. Tu n’as plus ma confiance. » La dame est démise de ses fonctions et, pendant trois mois, la CGT n’aura personne à envoyer dans les négociations avec le gouvernement sur les retraites. Pas grave : depuis son arrivée, il y a quatre ans, le taulier de la Cégète n’avait jamais trouvé le temps de questionner Mijo Isabey sur ce dossier épineux.
Un autre gros poisson vient d’être prié de se préparer à quitter le bocal : Jeau—François Naton, vice-président du Conseil économique, social et env1ronnemental, ci-devant responsable de l’énorme secteur travail et santé de la Confédération.
Il a précédé de peu l’un des spécialistes de la formation professionnelle, viré lui aussi à la vitesse du son. Un matin, la numéro 2 de l’époque (rétrogradée depuis) lui colle une tape amicale sur l’épaule : « T’es viré. Tu déménages ton bureau avant ce soir. » Comme au cinéma…
Tapioca sauce moutarde
La purge s’étend aux salariés de base. Le chef de la sécurité, éjecté pour avoir demandé le statut de cadre qui lui avait été promis à l’embauche, n’a pas été réintégré. Martinez s’est même assis sur un vote du bureau confédéral — l’instance suprême de la CGT — ordonnant l’annulation de ce licenciement.
Un autre, évincé pour avoir cafté à la police les détournements présumés au sein de la fédération de l’agriculture, aurait dû être réintégré. L’administration avait en effet refusé le licenciement de ce lanceur d’alerte, également délégué du personnel. Mais, lorsqu’il a voulu retrouver son bureau, l’homme s’est heurté à un cordon de gros bras.
Dernier remercié : le propre chauffeur de Martinez. L’homme, qui avait successivement piloté sans cahots Louis Viannet, Bernard Thibault et Thierry Lepaon, n’avait plus la cote avec Martinez. Il a fini par protester. Viré, et des indemnités pour le consoler. « Cette maison est devenue folle ! » hurle l’un des dirigeants historiques. Un courant d’opposants commence donc à se structurer, reprochant notamment à Martinez d’avoir rendu la CGT totalement « illisible » dans le conflit des gilets jaunes.
Rendez—vous à Dijon, où la moutarde risque de monter à bien des nez.
La CGT se comporte comme les employeurs qu'elle conchie. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Dans le Canard enchaîné du 13 mars 2019.