À Paris, on regrette beaucoup le départ de Jim Mattis, qui a souvent freiné les pulsions guerrières de son président.
La Maison-Blanche et au « gouvernement des Etats-Unis, Jim Mattis et son équipe du Pentagone jouaient les garde-fous, face aux plus excités du clan présidentiel », rappelle un diplomate. Puis, en prévision de ce qui pend au nez des Européens, il ironise méchamment sur la solitude, désormais, des « fanatiques de la “fauconnerie” de Trump ».
Pourtant, lorsque le président américain a annoncé, la semaine dernière, sans en avertir ses alliés, qu’il allait retirer les 2 000 soldats US présents en Syrie et la moitié des 14 000 qui campent encore en Afghanistan, personne n’aurait dû se montrer surpris. Au printemps 2018, par exemple, Trump s’était une fois de plus déclaré favorable à ces retraits, qui ont provoqué la démission de Jim Mattis. Lequel lui a aussitôt reproché, en tête à tête, comme l’a raconté la presse américaine, d’abandonner les Kurdes syriens, que l’armée turque veut réduire en miettes, et de laisser les talibans, avec lesquels Washington négocie depuis deux ans, devenir les maîtres de l’Afghanistan, où des centaines de djihadistes d’Al— Qaida et de Daech ont déjà trouvé un nouveau terrain de jeu.
Mais Trump est resté sourd à ces arguments de bon sens, et un diplomate commente ainsi cette passe d’armes : « Mattis, un va-t-en-guerre plutôt modéré, a toujours reproché au Président de se foutre allègrement de ses alliés kurdes ou afghans, et même de la France ou de l’Allemagne. »
En janvier 2017, une fois nommé patron du Pentagone, Jim Mattis, « un général intellectuel », selon ses pairs, s’était donné pour rôle de modérer Donald Trump, en proie à diverses pulsions parfois contradictoires. Par exemple, lorsqu’il menaçait de « réduire en cendres la Corée du Nord », puis, plus tard, quand il ne cessait de se dire ravi de négocier (?) avec Kim, son charmant dictateur. De même, quand Trump annonça qu’il voulait dénoncer l’accord nucléaire conclu avec l’Iran par les Européens, les Etats-Unis, la Russie et la Chine, Mattis tenta en vain de le convaincre que la signature des Etats-Unis devait être respectée.
A une autre occasion, l’intervention de Jim Mattis s’était révélée très utile, et pacifique. Inquiet de voir Donald Trump soumis à de récurrentes pressions de l’Israélien Netanyahou et du prince héritier d’Arabie saoudite, qui l’incitaient à bombarder les centres de recherches nucléaires iraniens, le patron du Pentagone avait obtenu l’appui de plusieurs généraux. Et, depuis, Trump en est resté à la seule guerre des sanctions et des propos belliqueux.
La collaboration Trump-Mattis a finalement duré plus que de raison, si l’on recense, comme le font certains officiers français, leurs nombreux désaccords.
Manque l’avis d’un psy
Exemples sélectionnés : 1) Mattis n’a guère apprécié d’avoir appris par un tweet présidentiel que les Etats-Unis cessaient toute aide militaire au Pakistan ; 2) Mattis est hostile au déploiement des troupes US à la frontière avec le Mexique car, selon lui, l’armée n’est pas « un jouet politique » ; 3) Trump a l’intention de geler les crédits militaires à 700 milliards de dollars à partir de 2020, alors que Mattis en réclamait 756 et que Daech n’est pas « fini »…
Depuis quelques semaines, les relations des deux hommes se sont encore détériorées. A tel point que, le 1er décembre, Jim Mattis, lors du Forum national de la défense, s’en est pris directement à Donald Trump en déclarant : « Toute limitation du budget de la Defense est un non-sens. » Réponse présidentielle, deux jours plus tard, et par tweet, bien sûr : « Le budget de la Défense est dingue. » Pas faux…
Arguments de Jim Mattis en faveur d’une augmentation de ces « dingues » de crédits : les menaces russe et chinoise. Mais, s’il se dit très inquiet des ambitions militaires de Pékin, Trump se montre toujours fort complaisant avec Moscou. Le 16 juillet, à Helsinki, lors de sa rencontre avec Poutine, il avait refusé de lui reprocher « toute ingérence dans la campagne présidentielle américaine ». Alors que Dan Coats, le directeur national du Renseignement, venait de déclarer : « Nous avons été clairs sur l’ingérence des Russes dans cette élection. »
De retour à Washington, où ses propos avaient fait hurler, Trump a juré avoir commis un lapsus en exonérant la Russie de toute responsabilité. Puis, quelques heures plus tard, il invitait ce brave Poutine à la Maison-Blanche.
A défaut de pouvoir inciter un adepte du docteur Freud à analyser ce comportement erratique, il faut attendre la prochaine élection présidentielle et espérer…
Dans le Canard enchaîné du 26 décembre 2018.