Un article alarmiste sans éléments concrets mais qui permet néanmoins de faire le point sur Tracfin : qui est tenu de lui signaler quoi, hausse des déclarations de soupçons, effectifs, collaboration avec les autres services fiscaux internationaux et de renseignement français, moyens techniques, dérive potentielle (la directrice est une inspectrice des finances, plus une magistrat), etc. À rapprocher de la création en cours d'un 7e service de renseignement fiscal au sein de Bercy.
Écoutes téléphoniques, géolocalisation, fonds secrets… Tracfin espionne les contribuables sans réel contrôle.
Bientôt, ils vont compter nos pièces dans notre porte-monnaie », s’agace un flic de la PJ. Même du côté des poulets spécialisés dans la délinquance financière, en trouve que Tracfin « est en train de devenir un monstre a la curiosité insatiable et échappant à tout contrôle ». Conçu pour lutter « contre les circuits financiers clandestins » et le blanchiment, cette petite boutique est sans doute la plus méconnue parmi les services de renseignement français. Placé sous la tutelle de Bercy, il s’est aujourd’hui mis en tête d’épier, grâce aux algorithmes, les dépenses et rentrées d’argent des Français. Après les barbouzeries en tout genre sur les téléphones et les ordinateurs, place à la police des comptes en banque. Dépensez, vous êtes fiiqué !
C’est simple : pour Tracfin, tout retrait d’espèces supérieur à 1 000 euros suivi d’un transfert bancaire est considéré comme suspect. Des centaines de milliers d’opérations sont transmises automatiquement par les établissements bancaires au service anti-blanchiment.
De surcroît, banquiers, notaires, commissaires aux comptes, greffiers de commerce, agents immobiliers et même avocats sont tenus de jouer les balances dès qu’ils tiquent sur une transaction : le Code monétaire et financier leur enjoint de cafter à Tracfin. L’an passé, on dénombrait 80 000 « déclarations de soupçon », contre 30 000 il y a cinq ans. Belle inflation !
Tracfin est ainsi devenu le principal auxiliaire du fisc : 90 % des « contrôles programmés » par la Direction nationale des enquêtes fiscales ont comme source une info issue de ce service. En 2018, ce mouchardage aurait permis de collecter près de 300 millions d'euros. Mais les espions de Bercy ne s'arrêtent pas là : ils balancent aussi aux autres services de renseignement. « Nous sommes les seuls à travailler avec tout le nmnde », se vante l’un de ses chefs. L’an passé, pas moins d’un millier de notes secrètes ont été filées à la DGSE et à la DGSI. Mais, chut ! secret—défense…
Liaisons dangereuses
Même à l’étranger, Tracfin piste les contribuables à leur insu. Le plus petit service de renseignement troque ses infos avec les cellules fiscales de 160 pays. Deux ou trois fois par an, tout ce petit monde se réunit au sein du groupe Egmont (châ— teau bruxellois où un premier rassemblement eut lieu en 1995)… Ce club d'échanges, désormais à Toronto, dispose même d’une base de données commune cryptée. Un agent de Tracfin confie : « Lorsqu’on apprend que des Anglais blanchissent en France, on le fait savoir à Londres. »
Et tout ça loin des regards indiscrets : les 170 agents de Tracfin sont soumis au secret-défense. Certains sont carrément détachés de la DGSE et de la DGSI afin de jouer les officiers de liaison. Avec les moyens ad hoc : fonds secrets (environ 150 000 euros annuels) et lignes d’écoute non judiciaires (une vingtaine), sans oublier l’accès aux factures téléphoniques détaillées et a la géolocalisation. Pratique, pour « tracer » un détenteur de carte bancaire…
Quel genre de contrôle s’exerce sur ces contrôleurs de vie privée ? Fort léger. La délégation parlementaire au renseignement se contente de rencontrer le patron de Tracfin et de prendre connaissance de son rapport d’activité. Quant à l’Inspection des services de renseignement, personne à Bercy ne se rappelle en avoir vu un représentant… A l’inverse, le pouvoir exécutif couve l’officine d’Etat d’une attention particulière. C’est pourquoi l’Elysée n’a guère goûté, l’an passé, d’apprendre dans la presse que Tracfin avait enquêté sur un oligarque russe lié à Alexandre Benalla. Cette cachetterie a valu au patron de l’agence d’être débarqué en juillet.
Bien renseigné
Il est vrai qu’une note sur le sujet avait été transmise au Parquet national financier. L’an passé, Tracfin a adressé 1 038 signalements aux juges — soit 51 % de plus qu’en 2017 ! Ce qui a permis à la justice d’accrocher à son tableau de chasse Cahuzac, Balkany, Le Pen… « Nous sommes capables de transmettre un dossier clés en main aux juridictions concernées », assure, un poil vantard, un cador de Bercy. Une cinquantaine de dossiers actuellement instruits au Parquet national financier ont été nourris par Tracfin. Même pas besoin de procédures compliquées pour saisir la justice : une disposition du Code monétaire taillée sur mesure le permet.
L’arrivée en juillet à la tête de l’officine d’une inspectrice des finances — et non d’un magistrat, comme son prédécesseur — a créé quelques remous. « On peut craindre une reprise en main de l’outil par le politique », préviennent des hauts fonctionnaires. La feuille de route de la nouvelle taulière est claire : rendre Tracfin encore plus puissant, en absorbant la Direction nationale des enquêtes fiscales et le renseignement douanier. Pas gagné…
L’ambition non dissimulée est de « créer une sorte de NSA à Bercy » — autrement dit, un Big Brother à la française. Des outils pour y parvenir ? La collecte, toujours plus vaste, de métadonnées et l’intelligence artificielle. La patronne va devoir claquer un pognon de dingue pour renouveler son système informatique. Ce joujou, qui a coûté 15 millions d’euros, est déjà « sous-dimensionné ».
Il va en falloir, des rentrées fiscales…
Les orpailleurs de Montreuil
Depuis quatre ans, les attentats et menaces islamistes ont conduit à une hausse des moyens et des effectifs, passés d’une centaine d’agents à 170. Une division dédiée à la lutte contre le financement du terrorisme a même été créée, en 2015. Mais, à en croire une méchante langue de la PJ, les tuyaux qu’elle a fournis sont d’un diamètre limité. En tout cas, grâce à ces renforts, pas moins de 25 fonctionnaires opèrent un tri, chaque matin, à Montreuil, dans le bunker de Tracfin, parmi les « signalements » en tout genre. « Pour trouver une pépite, nous sommes obligés de filtrer le fiux de toute la rivière », justifie l’un des chefs. A force de mouliner de plus en plus de données, le service pond toujours davantage de notes de renseignement : 3 300 en 2018, soit deux fois plus que l’année précédente ! Au risque de s’y noyer. Ou de n’attraper que les petits poissons. Les gros, eux, savent comment échapper au filet.
Dans le Canard enchaîné du 4 septembre 2019.