Notre estimé ministre de la police fait encore parler de lui dans les internets. Cette fois-ci, il se propose de limiter, on ne sait pas encore très bien comment, le chiffrement des communications.
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Les termes utilisés par les commentateurs vont de "illettrisme numérique" à "ignorance crasse", parfois avec des variantes plus fleuries. Tous se trompent sur cet aspect-là.
S'il est bien entendu probable que M. Cazeneuve soit assez ignorant de quoi que ce soit touchant aux techniques numériques, au chiffrement, à la programmation, au réseau, ou aux outils de communication moderne, il est ministre. Et pas sur un petit ministère. Il est à la tête d'un ministère, qui compte plusieurs grandes directions. Toute cette administration regorge de gens compétents. Oh, pas tous, il doit bien y avoir deux ou trois médiocres ici ou là. Mais il a des gens très brillants dans le lot. Du polytechnicien, de l'énarque, les gens brillants ne manquent pas dans la haute fonction publique.
Certaines de ces administrations, côté ministère de l'intérieur, ou côté ministère de la défense, sont spécialisées dans les questions de sécurité informatique (on dit cyber-défense digitale de nos jours, mais qu'importe). Là aussi, on trouve des gens brillants, et qui en plus sont spécialisés sur le sujet. D'ailleurs ils se sont exprimés. L'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a dit, par écrit, dans une note publiée, que c'était une ânerie de vouloir affaiblir le chiffrement, et que ça allait affaiblir la sécurité au lieu de la renforcer.
Ne croyez donc pas qu'ils soient incompétents. C'est faux. Ils sont compétents. Ils sont entourés de gens brillants. Ils ont été avertis, par les bonnes personnes, qu'il ne fallait pas faire ça. Et ils le font quand-même.
Toute analyse qui s'appuie sur l'idée que nos ministres sont idiots est invalide. Toute analyse qui s'appuie sur le fait qu'ils soient incompétents, ou mal informés, cherche à leur trouver une excuse qui n'est pas la bonne.
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Le premier angle est de considérer qu'ils sont fous. C'est un peu délicat à détecter, parce qu'ils ne portent pas un entonnoir sur la tête. Mais le comportement de nos ministres, leurs déclarations, la rédaction de tout un tas de textes officiels (décrets, lois, arrêtés, etc), la logique sous-jacente. Tout ça ressemble beaucoup à un comportement de personnalité paranoïaque. [...]
Incroyable ? Pas tellement. Nos dirigeants vivent dans une bulle. Depuis très longtemps, comme politiciens de métier, ils sont assez isolés du monde commun. Une fois ministres, ils sont complètement coupés de toute forme de réalité. Souvenez-vous, Balladur, en pleine campagne présidentielle, à 60 ans passés, qui découvrait que dans le métro il fait chaud. S'il avait mis le nez dehors, il aurait pu découvrir que l'eau ça mouille, aussi. Nos dirigeants sont coupés de tout, et sont alimentés en continu d'informations anxiogènes par des hauts fonctionnaires des services de police, parfois (souvent ?) avec des visées sécuritaires ou totalitaires, typiquement Alain Bauer et ses semblables. Ça peut suffire à perdre les pédales.
Le second angle est de considérer qu'ils ont peur. Oh, pas peur de mourir dans un attentat, ils ne sont pas visés. [...] Non. Ils ont peur qu'on leur reproche leur inaction. Ils ont peur qu'il y ait encore des attentats, et qu'on dise que c'est de leur faute. Alors il faut bien faire quelque chose. Inutile, dangereux, totalitaire, n'importe quoi, mais quelque chose. Avec ce raisonnement-là, que beaucoup de politiciens tiennent, ils devraient tenter la danse de la pluie, ou le sacrifice rituel
Le troisième angle est électoraliste. L'électorat est essentiellement âgé. La majorité des votants a plus de 55 ans en France. Cet électorat, traditionnellement acquis à la droite, ne comprend pas grand chose au numérique et à Internet. Que la télévision raconte que les terroristes communiquent avec des applis de téléphone portable cryptées[3], et les vieux ont peur. Ils savent à peine ce qu'est une application. Ils ne perçoivent même pas qu'une appli de communication, ils en utilisent, pour envoyer des SMS. Ils ne perçoivent pas que le fait de chiffrer les communications est normal. Et nos dirigeants essayent de caresser ce bout d'électorat dans le sens du poil, avec comme objectif premier que la télé en parle.
Brandir le tout sécuritaire, agiter les peurs et les haines, c'est une stratégie pour récolter les votes des gens qui ont peur. Et les vieux sont des gens qui ont peur. Du monde moderne (donc on dit du mal d'Internet), des jeunes (donc on dit du mal des téléphones et de Pokémon Go[4]), de tout ce qui bouge plus vite qu'un chat empaillé.
Enfin, il reste l'angle d'analyse le plus raisonnable. Nos dirigeants veulent surveiller le peuple pour s'assurer de rester au pouvoir quoiqu'il advienne. Oh, pas forcément eux individuellement, mais leur caste. Eux, leurs camarades de promos, leurs semblables. Et pour faire passer la surveillance généralisée de la population, le plus efficace est d'agiter la peur des terroristes. Ensuite, il suffira de qualifier de terroriste tous les gens qui s'opposent à leur caste. Par exemple ceux qui embêtent le monde sur les histoires d'aéroports, alors que quand même, le patron de la boîte de BTP qui construit, c'est un pote.
Gros +1, rien à ajouter. Je pense que la réalité se trouve au croisement de toutes ces analyses.
Via http://dukeart.netlib.re/shaarli/?Tz6Siw (j'aime beaucoup ton idée de constante / modèle mathématique pour en arriver à la conclusion que nos dirigeant-e-s suivent un autre modèle, constant, sans alternance, vraiment oligarchique. Voir une illustration en http://shaarli.guiguishow.info/?bbuPtQ . Ta formulation est intéressante. )