La proposition de loi sur la réforme de la prescription en matière pénale sera examinée aujourd’hui à l’Assemblée nationale en seconde lecture. [...]
Désormais en dernière ligne de la procédure parlementaire, ce texte entend allonger considérablement les délais de prescription en matière d’abus de liberté d’expression commis sur Internet.
Sur les services de communication au public, l’action publique et l’action civile pour des infractions comme la diffamation ou l’injure « se prescriront par une année révolue » expose l’article 3 de la proposition. Pour comparaison, ce délai est aujourd'hui de trois mois.
Les sénateurs, à l’origine de cette adjonction, ont réservé néanmoins une hypothèse taillée pour ménager la susceptibilité des journaux édités sur papier : si le même contenu en ligne est reproduit également sur support papier, alors on en restera au délai abrégé.
Les députés Isabelle Attard, Noël Mamère, Sergio Coronado ou encore Laurence Abeille s’opposent à un tel régime : selon eux, « rien ne justifie » un tel allongement. Surtout, il s’agace de « cette tendance à considérer l’usage d’internet comme une circonstance aggravante pour de nombreux délits ». [...]
Toujours dans leur exposé, ils estiment lorsqu’une personne est victime de diffamation, il lui sera « infiniment plus aisé de l’apprendre si un service de communication au public en ligne a été utilisé, que par une publication papier. En effet, un moteur de recherche couplé à un système d’alerte permet d’être averti très régulièrement d’une nouvelle publication. Alors que surveiller toutes les publications papier de tout le pays pour repérer une éventuelle infraction est quasiment impossible ».
Dans leur grille de lecture, cette prescription différenciée serait d’ailleurs peu en phase avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, spécialement sa décision 2004‑496-DC qui n’admet pas « de trop grandes différences de régime entre presse papier et numérique en matière de délai de prescription », expliquent-ils. Conclusion : « Il apparaît donc inutile de prolonger le délai de prescription en cas de commission d’infractions par l’intermédiaire d’un service de communication au public en ligne ».
Autre député à avoir déposé un amendement de suppression, Patrick Bloche, le président de la Commission des affaires culturelles. [...]
« Internet change tout. Il n’y a pas de prescription de l’information ! C’est un problème majeur » a rétorqué en séance le député Lellouche, affirmant que si Internet avait existé en 1881, la loi qui porte ce nom aurait été tout autre. Le député LR a par ailleurs condamné le lobbying mené par les syndicats de journalistes sur les parlementaires. Analyse partagée par le rapporteur, Alain Tourret : « Nous savons à quel point les députés s’assujettissent à la presse ! ». Quelques minutes plus tard, Cécile Duflot leur rappellera que « la liberté de la presse, c’est un fondement de la démocratie. Non le fruit d’un lobby professionnel ! »
Si les discussions autour de ces questions ont été longues, c’est aussi en raison de la dramaturgie parlementaire. Un vote de cet amendement conduit à relancer la navette vers le Sénat où, à coup sûr, l’article sera à nouveau réintroduit. En comptant les phases d’arbitrage puis du dernier mot accordé aux députés, la crainte est que le Parlement ne puisse légiférer d’ici la fin de la session parlementaire. D’autant que les grands rendez-vous électoraux attendus d’ici mai risquent de plonger la proposition de loi aux oubliettes.
Or, ce texte contient bien d’autres articles, particulièrement celui doublant la prescription du droit commun des délits et des crimes, outre d’inévitables mesures antiterrorisme. Voilà pourquoi Alain Tourret avait joué sur la corde sensible : « Si vous votez cet amendement, la loi tombe », invitant les députés à voter conforme puis saisir au besoin le Conseil constitutionnel.
Finalement, l’intervention du ministre de la Justice a planté l’ultime clou dans le cercueil de la prescription allongée dans la loi de 1881. Jean-Jacques Urvoas a pris l’engagement en séance d’utiliser « tous les moyens pour que l’Assemblée soit à nouveau saisie » dans les temps, avant la fin de la session. À la tête du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, Olivier Faure a promis pour sa part que son groupe laisserait une place dans le calendrier qui lui est réservé. Et, en cas d’impossibilité, « alors je demanderai que nous puissions étendre la session après le mois de février ».