Réforme des retraites : le niveau des recettes (14 % du PIB) du système sera figé dans le temps donc soit la croissance revient et perdure indéfiniment, soit les pensions de retraites seront plus maigres qu'aujourd'hui. Le gouvernement prétend que la fin des régimes privilégiés permettra de maintenir ce système à l'équilibre… tout en reconnaissant une perte de revenus pour les retraités… 56 % des personnes de plus de 60 ans ont un emploi stable, donc repousser l'âge de départ à la retraite semble une mauvaise idée… sauf à considérer la pension comme un complément de revenu, les seniors entrant en concurrence avec les autres actifs et faisant baisser les salaires. Les hauts-salaires sont exclus du système. Ils cotiseront auprès du privé. C'est la fin de la solidarité et la porte ouverte aux fonds de pension aux marchés financiers. Le mécanisme de redistribution, qui, d'après l'INSEE limite la flambée des inégalités est mis en défaut.
Le grand chamboule-tout des retraites programme la paupérisation des retraités et favorise le développement de la capitalisation pour les plus hauts salaires. Etonnant, non ?
Inégalité ici, « privilège » par là… On jase beaucoup sur les prétendus avantages des divers régimes de retraite. Mais on parle peu du système de retraite dans son ensemble, lequel organise avant tout un transfert global des actifs vers les retraités. Sur ce point, le projet du gouvernement est simple et très clair : il fige le niveau des recettes à son niveau actuel. La part du revenu national consacrée aux pensions n’augmentera plus. Avec une proportion de retraités en hausse, cela se traduira mécaniquement par une baisse des pensions.
Imagine-t-on un couple qui vient d’avoir un troisième enfant décider de subvenir aux besoins de sa progéniture en partageant désormais en trois le budget qu’il consacrait auparavant à ses deux premiers enfants ? C’est le projet de Macron pour les vieux. Serrez-vous les retraités, faites de la place aux nouveaux et débrouillez-vous avec ce qu’on vous donnait avant!
D'un côté, l'explication gouvernementale est que la fin des régimes privilégiés permettra de conciller part du PIB constante et augmentation du nombre de retraités. Sans compter que la start-up nation va faire exploser le PIB, donc une même proportion d'un PIB plus élevé, ça fait de la monnaie supplémentaire. De l'autre, le même gouvernement nous explique qu'il va utiliser les réverses financières des complémentaires vieilesse des salariés du privés pour financer cette transition… Le nouveau système sera donc à l'équilibre quand on y aura injecter plusieurs dizaines de milliards. Ça part mal.
La baisse du taux de remplacement (rapport entre la première pension et le dernier salaire) était déjà engagée avec les régressions des trente dernières années. Le projet Macron poursuit et accentue cette baisse. C’est la paupérisation programmée des retraités. En 2050, le rapport entre la pension moyenne et le revenu moyen par habitant sera revenu à son niveau de 1970. À l’époque, le taux de pauvreté parmi les retraités était de 55 %, quatre fois plus qu’aujourd’hui.
Avec cette chute des pensions, le projet gouvernemental accentue les inégalités entre salariés. Certains pourront travailler plus pour accumuler des droits supplémentaires, la plupart des autres non. Aujourd’hui déjà, la moitié des salariés qui partent à la retraite ne sont plus en emploi. Le « libre choix » est un leurre.
Un projet régressif et inégalitaire
Reste alors la « liberté » de travailler à la retraite, du moins pour ceux qui n’auront pas été trop cassés par le travail. C’est ce que les Américains appellent le « quatrième étage des retraites », à savoir la nécessité de travailler pour compléter des pensions trop faibles. Ça tombe bien, le projet de loi ouvre totalement les vannes du cumul emploi-retraite. La pension devient alors, de façon de plus en plus évidente, une forme de subvention qui permet aux pensionnés d’accepter des petits boulots mal payés. Avec à la clé une pression accrue sur l’emploi et les rémunérations des autres salariés. La concurrence salariale, rien de mieux pour booster les profits.
Pour les plus hauts salaires, il sera désormais interdit de cotiser au système « universel » au-delà d’un salaire équivalent à trois fois le plafond de la Sécurité sociale (contre huit fois aujourd’hui) [ N.D.L.R : pour l'instant, le seuil envisagé est de 120 000 € brut par an ]. Peu de salariés sont concernés (2 à 3 %), mais ils gagnent beaucoup. Entre 15 à 20 milliards de salaires échapperont ainsi au pot commun de la cotisation retraite. C’est la voie royale pour le développement des plans d’épargne retraite. Le gouvernement ne dit pas si ces plans bénéficieront d’avantages fiscaux, mais c’est le cas dans tous les pays où ces dispositifs existent. Avec un coût caché exorbitant pour les finances publiques : entre 1 et 5 % du PIB, soit au bas mot 10 à 15 % des dépenses publiques de retraite. Une manne qui se concentre sur les plus hauts salaires.
Encore une fois (c'est pareil pour le déploiement de la fibre optique, par exemple), le mot péréquation est oublié, donc le système conçu est inégalitaire et surtout, il est voué à être déficitaire. C'est précisement l'inverse de la solidarité et du mécanisme de redistribution…
En agitant le chiffon rouge des inégalités entre régimes de retraite, le gouvernement masque ainsi la réalité d’un projet non seulement régressif mais fortement inégalitaire.
Dans le numéro d'octobre 2019 de Siné Mensuel.