Excellent texte. J'en recommande vivement la lecture.
Le libéralisme était une doctrine déduite de la philosophie des Lumières, à la fois politique et économique, qui visait à imposer à l’Etat la distance nécessaire au respect des libertés et à l’avènement des émancipations démocratiques. Il a été le moteur de l’avènement et des progrès des démocraties occidentales.
Le néolibéralisme est cet économisme total qui frappe chaque sphère de nos sociétés et chaque instant de notre époque. C’est un extrémisme.
Le fascisme se définit comme l’assujettissement de toutes les composantes de l’État à une idéologie totalitaire et nihiliste.
Je prétends que le néolibéralisme est un fascisme car l’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun.
L’austérité voulue par les milieux financiers est devenue une valeur supérieure qui remplace la politique. Faire des économies évite la poursuite de tout autre objectif public. Le principe de l’orthodoxie budgétaire va jusqu’à prétendre s’inscrire dans la Constitution des Etats. La notion de service public est ridiculisée.
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Tout totalitarisme est d’abord un dévoiement du langage et comme dans le roman de Georges Orwell, le néolibéralisme a sa novlangue et ses éléments de communication qui permettent de déformer le réel. Ainsi, toute coupe budgétaire relève-t-elle actuellement de la modernisation des secteurs touchés. Les plus démunis ne se voient plus rembourser certains soins de santé et renoncent à consulter un dentiste ? C’est que la modernisation de la sécurité sociale est en marche.
Un de mes éléments de communication préféré est « il faut baisser le coût du travail sans baisser les salaires »… … … Sauf que le coût du travail, c'est la sécu, c'est le chômage, c'est la retraite, c'est une prise en charge partielle des transports et de la bouffe… donc c'est du salaire indirect. Réduire le coût du travail / les charges sociales, c'est forcément réduire le train de vie des travailleur-euse-s. Ceux-celles qui prétendent le contraire, comme un certain Emmanuel Macron, cherchent à nous duper.
L’abstraction domine dans le discours public pour en évincer les implications sur l’humain. Ainsi, s’agissant des migrants, est-il impérieux que leur accueil ne crée pas un appel d’air que nos finances ne pourraient assumer. De même, certaines personnes sont-elles qualifiées d’assistées parce qu’elles relèvent de la solidarité nationale.
Le darwinisme social domine et assigne à tous et à chacun les plus strictes prescriptions de performance : faiblir c’est faillir. Nos fondements culturels sont renversés : tout postulat humaniste est disqualifié ou démonétisé car le néolibéralisme a le monopole de la rationalité et du réalisme. Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : « There is no alternative ». Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression. Les vertus du débat et de la conflictualité sont discréditées puisque l’histoire est régie par une nécessité.
Cette sous-culture recèle une menace existentielle qui lui est propre : l’absence de performance condamne à la disparition et dans le même temps, chacun est inculpé d’inefficacité et contraint de se justifier de tout. La confiance est rompue. L’évaluation règne en maître, et avec elle la bureaucratie qui impose la définition et la recherche de pléthore d’objectifs et d’indicateurs auxquels il convient de se conformer. La créativité et l’esprit critique sont étouffés par la gestion. Et chacun de battre sa coulpe sur les gaspillages et les inerties dont il est coupable.
L’idéologie néolibérale engendre une normativité qui concurrence les lois du parlement. La puissance démocratique du droit est donc compromise. Dans la concrétisation qu’ils représentent des libertés et des émancipations, et l’empêchement des abus qu’ils imposent, le droit et la procédure sont désormais des obstacles.
De même le pouvoir judiciaire susceptible de contrarier les dominants doit-il être maté. La justice belge [NDLR : la justice française aussi ] est d’ailleurs sous-financée ; […]
La classe dominante ne s’administre pourtant pas la même potion qu’elle prescrit aux citoyens ordinaires car austérité bien ordonnée commence par les autres. […] Ceci dans un Etat où le nombre de mandataires publics défie tous les standards mondiaux. Dans ce secteur particulier, pas d’évaluation ni d’études de coût rapportée aux bénéfices. Un exemple : plus de trente ans après le fédéralisme, l’institution provinciale survit sans que personne ne puisse dire à quoi elle sert. La rationalisation et l’idéologie gestionnaire se sont fort opportunément arrêtées aux portes du monde politique.
Ce contexte menace sans aucun doute les fondements de nos démocraties mais pour autant condamne-t-il au désespoir et au découragement ? Certainement pas. Voici 500 ans, au plus fort des défaites qui ont fait tomber la plupart des Etats italiens en leur imposant une occupation étrangère de plus de trois siècles, Nicolas Machiavel exhortait les hommes vertueux à tenir tête au destin et, face à l’adversité des temps, à préférer l’action et l’audace à la prudence. […]
Cet enseignement s’impose à l’évidence à notre époque où tout semble compromis. La détermination des citoyens attachés à la radicalité des valeurs démocratiques constitue une ressource inestimable qui n’a pas encore révélé, à tout le moins en Belgique, son potentiel d’entraînement et sa puissance de modifier ce qui est présenté comme inéluctable. Grâce aux réseaux sociaux et à la prise de parole, chacun peut désormais s’engager, particulièrement au sein des services publics, dans les universités, avec le monde étudiant, dans la magistrature et au barreau, pour ramener le bien commun et la justice sociale au cœur du débat public et au sein de l’administration de l’État et des collectivités.