Les interprètes de la cour d’appel de Paris vont être payés. Il était temps : les malheureux attendaient depuis des mois ! Le 12 novembre, soutenus par de nombreux magistrats, ils ont protesté devant les tribunaux d’Ile-de-France.
L’Union des interprètes-traducteurs, leur association, s’efforce aussi de défendre le sérieux de la profession. Elle s’interroge sur les conditions d’inscription sur les listes des experts assermentés et s’étonne du « nombre inquiétant de mauvais interprètes, qui parlent mal soit la langue à traduire, soit le français ».
Des avocats parlant l’arabe se plaignent : il leur arrive de devoir engueuler l’interprète, avant de prendre le relais d’une traduction « bancale ». Dans un commissariat parisien, face à un dealer marocain, un traducteur réussit l’exploit de transformer « cannabis » en « cadavre enterré ». De quoi aggraver le corps du délit ! Les commissariats possèdent des « experts » attitrés, sélectionnés parfois sur des critères très approximatifs, genre : « conjoint d’une collègue de la PJ ».
Le monsieur te demande…
A Roissy, dans la zone d’attente où sont confinés les demandeurs d’asile, l’avocate Sophie Weinberg a assisté à la recherche éperdue d’interprètes parmi les voyageurs en partance.
« Sollicitons les chefs de poste, est-il consigné dans un PV du 23 octobre, afin que les gardes-frontières aux filtres “départ” et “arrivée” décèlent toute personne susceptible de servir d’interprète en langue comorienne… » Des recherches la plupart du temps « infructueuses ».
La Cour nationale du droit d’asile est, elle, secouée par un scandale : trois de ses traductrices sont soupçonnées d’avoir rapporté les secrets de réfugiés à l’ambassade d’Azerbaïdjan, entraînant des arrestations au sein de familles restées là-bas. Révélée par StreetPress, l’affaire a causé le renvoi de plusieurs audiences.
Recrutement fantaisiste
Ce bordel n’a pas échappé à la Commission européenne, qui, dans une étude, tacle sévèrement la France, où « personne ne connaît exactement les critères » de recrutement des interprètes. Si, dans d’autres pays de l’UE, les candidats sont soumis à de vrais examens, la France se contente d’« un simple entretien » avec des magistrats incapables de repérer qui parle le pachtou, le mandarin ou le tamoul. « Un sérieux problème », conclut la Commission européenne. Et un doute : son rapport a-t-il été bien traduit aux autorités françaises ?
Dans le Canard enchaîné du 21 novembre 2018.