La Chine a pris la tête de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture qui défini, entre autres, les normes sanitaires et les rapports Nord-Sud (intéressant pour une Chine qui investit toujours plus en Afrique). La coutume semble être d'acheter des voix. La Chine y aurait consacré environ 150 millions d'euros, notamment à destination des pays africains. Elle aurait saupoudré le tout d'un espionnage des représentants des États membres de la FAO.
Trop occupé à célébrer Emmanuel Macron en faiseur de reines européennes, l’Elysée s’est abstenu de tout commentaire après la raclée encaissée par la candidature française a la direction générale de la FAO — l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Le 23 juin, contre toute attente, Qu Dongyu, le vice-ministre chinois de l’Agriculture, a pulvérisé par 104 voix contre 71 la favorite, Catherine Geslain-Lanéelle, tandis que le candidat géorgien soutenu par Trump n’a obtenu que 12 voix. Malgré un budget limité — 2,2 milliards d’euros —, la FAO joue un rôle central dans la lutte contre la malnutrition (2 milliards d’humains dénutris et 820 millions mal nourris) et dans la définition des normes sanitaires. Son influence est aussi déterminante dans les rapports Nord-Sud. Un bel enjeu pour la Chine.
Une Chine pompe-Afrique
Catherine Geslain-Lanéelle s’est alignée, au départ, avec 4 millions d’euros, destinés à être saupoudrés sous forme d’aides aux pays électeurs — comme au bon vieux temps. Une misère, comparé au budget de son adversaire Qu Dongyu, qui a bénéficié du soutien actif de Xi dinping. Ce dernier n’a pas hésité, chéquier en main, a faire le tour des capitales pour assurer la promo de son champion. Ainsi, le Cameroun prévoyait de présenter un candidat au nom de l’Afrique. L’oncle Xi l’en dissuada en effaçant, à hauteur de 70 millions d’euros, une partie de sa dette.
Selon le témoignage de diplomates français, la manne chinoise a coulé, avec le débit du fleuve Amour : 30 millions (en euros) pour la Côte d’Ivoire, 38 pour le Tchad, 24 pour la Centrafrique, 18 pour le Congo, etc. Au total, estiment ces jaloux de Français, la Chine a déboursé 150 millions.
L‘ingénieux plan Qu
Les sommes ont majoritairement été débloquées après une menus formalité : selon « L’Opinion » (ZB/7), les Chinois auraient obligé les délégués des pays bénéficiaires à photographier leur bulletin de vote dans l’isoloir. Quasiment tous les pays de l’Afrique francophone ont coché le nom de M. Qu sur leurs bulletins. Après la Françafrique, vive la Chinafrique !
D’autres astuces, plus discrètes, ont été découvertes. Ainsi, consultant la géolocalisation de leurs téléphones portables après une visite au siège de la FAO, à Rome, des membres de la délégation française (qui l’ont raconté au « Canard ») ont lu qu’ils se trouvaient à Shanghai. Le diagnostic des services français est sans appel : leurs conversations étaient « dérivées » vers la Chine.
Interrogée par « Le Canard » sur ces facéties, l’ambassade de Chine à Paris lui a adressé un très long laius… qui ne dément aucune de ses informations.
Pour l’empire du Milieu, qui a l’impérieux besoin d’importer une partie de ses denrées alimentaires, la « signature » d’une structure de l’ONU constitue un atout majeur. L’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui ont glissé un bulletin pour M. Qu, ont, par exemple, bien compris le profit qu’elles pouvaient tirer de l’exportation de leurs viandes vers le Mékong [ NDLR : dans son numéro du 31 juillet 2019, le Canard reconnaît que cette expression est bancale puisque si le Mékong est de source chinoise, il circule dans d'autres pays, qui ne sont pas l'objet d'un éventuel accord ].
Quant aux States, ils sont soupçonnés d’une belle fourberie contre notre candidate. Trois semaines avant le scrutin, le quotidien londonien « The Guardian » publiait un mémo de l’administration américaine indiquant que Catherine Geslain-Lanéelle se serait engagée, lors de discussions bilatérales, à « ne pas defendre les positions européennes sur la question des biotechnologies et des OGM ».
Cette bévue a entraîné une levée de boucliers chez les écolos européens, qui n’ont pas oublié les formules de la candidate française sur l’utilité des pesticides en Afrique et des OGM pour la planète. Les Chinois ont dû regretter d’avoir déboursé tant d’argent pour battre une adversaire légèrement dévaluée…
Dans le Canard enchaîné du 24 juillet 2019.