C’est embêtant, les référendums. Voyez le Brexit, arraché par un référendum en 2016 : les Anglais ne savent plus comment s’en dépêtrer. Voyez de Gaulle en 1969. Il avait menacé de partir si le oui perdait : il est parti. Voyez le référendum sur l’Europe en 2005 : le non a si bien gagné que Sarkozy l’a glissé sous le tapis et a signé, malgré tout, le traité de Lisbonne.
C’est que le peuple est imprévisible. Le peuple n’en fait qu’à sa tête. Le peuple est un grand enfant, qu’il ne faut pas laisser jouer avec les allumettes du référendum. Alors, quand les gilets jaunes se mettent à réclamer, à grand tapage, un RIC (référendum d’initiative citoyenne), ça coince. Quoi ? Pouvoir lancer un référendum dans un délai d’un an après avoir rassemblé 700 000 signatures ? Et pouvoir ainsi modifier la Constitution, abroger une loi, bloquer un traité international, et même révoquer un élu ? Tout le monde crie au fou. Voilà qui va « percuter la démocratie participative » (« Le Figaro », 18/12) !
Tout le monde, sauf Marine Le Pen, qui l’avait inscrit dans son pro gramme présidentiel, et aussi Mélenchon, et Dupont-Aignan. Tout le monde sauf François Bayrou, pas franchement un extrémiste, et Ségolène Royal, pour qui « la démocratie participative ne s’oppose pas aux autres formes de démocratie, sociale ou représentative, mais les irrigue ». Et même Edouard Philippe, lequel avoue qu’« on ne peut pas être contre son principe », qu’il s’agit d’« un bon instrument dans une démocratie »… mais « pas sur n’importe quel sujet ni dans n’importe quelles conditions ». Le référendum, a-t-il promis, sera « un bon sujet » du grand débat à venir.
Et, pour débattre, ça va débattre ! Comment enclencher un RIC ? A partir de combien de signatures ? Par pétition électronique ? Comment s’assurer du comptage ? Quel champ de thèmes lui ouvrir ?
Demain, pourra-t-on, par référendum, rétablir la peine de mort, les 100 km/h sur toutes les routes, la clope dans tous les bistrots ? Rejeter les migrants à la mer ? Pourra-t-on interdire la fermeture d’une maternité, d’un bureau de poste ou d’une gare ? Les sujets les plus farfelus pourront-ils faire l’objet d’un référendum ?
En Suisse, pays qui pratique assidûment le référendum d’initiative populaire depuis 1893, le dernier sujet a concerné les bêtes à cornes : pour éviter que les éleveurs, pour des raisons de rentabilité, coupent leurs cornes aux bêtes, fallait-il soutenir financièrement les détenteurs de vaches, de taureaux reproducteurs, de chèvres et de boucs à cornes ? Ce 25 novembre, la proposition a été rejetée à 45,3 % de voix.…
Les Suisses sont d’une grande sagesse. Ils ont le consensus dans la peau. La démocratie directe n’y attaque pas la démocratie représentative : elle la complète. Chez eux, le référendum fait partie de la routine. S’il permet de vrais débats, il débouche rarement sur de grands changements : seule une initiative populaire sur dix aboutit. Comment cela va-t-il se passer en France, pays éruptif, épidermique, guillotineur de roi, pétainiste d’abord et gaulliste après ? Il va en falloir, des garde-fous, pour ne pas offrir un boulevard aux démagogues de tout poil ou, comme cela se passe en Californie, aux lobbys qui dépensent des dollars par millions pour défendre leurs intérêts…
Prudence : un jour, peut-être, nous voterons massivement en faveur des bêtes à cornes !
Dans le Canard enchaîné du 19 décembre 2018.