En recevant le président Erdogan à l’Elysée, le 5 janvier, Macron s’était bien gardé de lui reprocher les amicales relations entretenues par ses généraux avec divers groupes djihadistes. Exemple le plus récent : à l’automne 2017, les troupes turques ont pénétré dans la province syrienne d’Idlib avec comme escorte, et comme alliés, les combattants de Tahrir al-Cham — puissant mouvement terroriste plus connu sous son ancienne appellation : le Front Al—Nosra, une filiale d’Al-Qaida.
Trois mois plus tard, les 12 et 13 janvier, « Le Monde » puis « Le figaro » mentionnent, au détour de leurs articles sur la bataille d’Idlib, cette complicité des militaires turcs avec les djihadistes d’Al-Qaida, qui les avaient « escortés » tandis qu’ils entraient en Syrie. Les deux confrères utilisent le même verbe — « escorter » —, mais sans trop s’en émouvoir. En revanche, plusieurs diplomates et, à les en croire, certains de leurs amis militaires estiment vraiment « problématique » que le président Erdogan persévère dans ses mauvaises fréquentations.
Ils n’ont pas tort car, dans ce cas précis, Macron se montre tout aussi complaisant à l’égard d’Erdogan que ses anciens amis socialistes. Durant le quinquennat précédent, François Hollande, Laurent Fabius, au Quai d’Orsay, et Jean-Yves Le Drian, à la Défense, avaient en effet toujours toléré — comme les Américains, d’ailleurs — que le Grand Turc ait deux fers au feu djihadiste.
Aux terroristes de Daech, celui-ci ouvrait généreusement ses frontières, facilitait leurs exportations de pétrole et permettait aux blessés de l’Etat islamique de se faire soigner dans les hôpitaux turcs. Quant aux combattants du Front Al-Nosra, souvent « en conflit de territoires » avec Daech en Syrie, Erdogan acceptait de leur fournir des armes et une aide financière, comme l’Arabie saoudite et le Qatar, deux bons amis et clients de la France. Tous espéraient voir ces djihadistes s’emparer de Damas et y planter leurs drapeaux noirs, après en avoir chassé Bachar et son clan.
Sans 1maginer un instant que miser ainsi sur un mouvement terroriste pour se débarrasser de Bachar et de son régime était à la fois indigne et stupide, l’équipe Hollande-Fabius-Le Drian nourrissait le même espoir, et, à l’instar de la coalition dirigée par les Etats-Unis, les Rafale et les Mirage français n’ont jamais bombardé les positions du Front Al-Nosra pendant plus de deux ans.
Mais, en septembre 2015, quand ces djihadistes s’approchaient de Damas et se vantaient d’y instaurer bientôt la charia, Poutine s’était énervé. Pour défendre son protégé Bachar et les bases russes qu’héberge la Syrie, il avait vite envoyé 50 avions de combat, des hélicoptères, des commandos, des missiles de croisière montés sur camions (avec radar) et une artillerie de « gros calibre », comme disaient alors les militaires français. Ainsi se termina le rêve d’Al-Qaida. Et celui, que cela plaise ou non, de Hollande, de Fabius et de Le Drian.
« On a épargné et parié sur le Front Al-Nosra, se désolait à l’époque un diplomate, alors que ce mouvement figurait en bonne place dans la liste des groupes terroristes établie par l’ONU. »
Très intéressant. :O
Dans le Canard enchaîné du 17 janvier 2018.