Excellent résumé par LQDN de l'après ACTA, aussi bien au niveau des accords de libre-échange total, que des réformes infructueuses du droit d'auteur qui font à l'encontre des usages modernes des œuvres. J'en recommande vivement la lecture.
Le 4 juillet 2012, le Parlement européen rejetait à une large majorité l'accord commercial ACTA, après plusieurs années de mobilisations internationales en ligne et hors ligne sans précédent1. Négocié dans l'opacité au profit de quelques intérêts privés, ACTA tentait d'imposer des mesures répressives au nom de la protection du droit d'auteur et constituait une menace majeure pour nos droits et libertés. [...]
Loin de se limiter aux questions d'ordre économique, les « accords commerciaux » négociés par la Commission européenne peuvent concerner un grand nombre de domaines, aussi variés et importants que l'agriculture, l'accès aux médicaments, la protection des données, le droit d'auteur, la sécurité alimentaire, ou le règlement des différends privés-publics. Malgré les importantes conséquences de ces textes sur nos vies, ils sont négociés en tout opacité et incarnent une politique européenne prête à sacrifier nos droits fondamentaux pour les seuls privilèges des entreprises internationales qui les réclament et au détriment de la société dans son ensemble.
Pour les seuls enjeux numériques, 3 accords actuellement en cours de négociations ou d'adoption doivent faire l'objet d'une vigilance particulière : CETA, TAFTA et TiSA.
CETA, pour Canada-EU Trade Agreement – ou Accord Économique et Commercial Global en français – a été négocié par le Canada et l'Union européenne entre 2009 et 2014. [...]
Adopté, l'accord prévaudrait sur le droit européen, notamment en matière de protection de la vie privée – par exemple pour le transfert de données personnelles – et empêcherait tout renforcement législatif dans ce domaine. Alors que le Canada est membre de l'alliance des Five Eyes – dont les révélations d'Edward Snowden et d'autres lanceur·se·s d'alerte ont largement démontré qu'elle participe à la surveillance massive et illégale des populations – ce point est particulièrement inquiétant et impose à lui seul le rejet de l'accord.
Voir aussi http://shaarli.guiguishow.info/?kV9W8Q + http://shaarli.guiguishow.info/?qQpsfg
[...]
TAFTA, pour Trans-Atlantic Free Trade Agreement, l'accord commercial transatlantique entre l'Union européenne et les États Unis, parfois appelé TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership ou Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement en français) ou encore Grand Marché Transatlantique. Démarrées au mois de juillet 2013, les négociations – là aussi opaques, mais largement influencées par les multinationales – sont toujours en cours : le 13ème cycle a eu lieu en avril et le prochain démarrera le 13 juillet.
Adopté en l'état – et une fois encore, pour les seuls enjeux numériques – l'accord prévaudrait sur le droit européen et pourrait devenir un obstacle indépassable pour la mise en place de législations protectrices de nos droits et libertés, par exemple pour la protection de la neutralité du Net ou des données personnelles [...]
De manière similaire à CETA, TAFTA pourrait lui aussi imposer la mise en place d'un système de règlement des différends entre investisseurs et États via un tribunal privé ad hoc, avec les mêmes risques de dérives et abus. Également, la participation des États Unis aux Five Eyes suscite les mêmes inquiétudes pour les deux accords au sujet des questions de surveillance et de vie privée des européen·ne·s.
Comme l'EDRi le souligne dans cette analyse, la lecture des documents de travail fuités de TAFTA à la lumière du TPP, un autre accord commercial négocié par les États Unis, permet d'imaginer ce que pourraient contenir la version définitive de TAFTA. Le TPP, pour Trans-Pacific Partnership, est un accord négocié par de nombreux pays situés autour de l'océan Pacifique – et ne concerne donc pas l'Union européenne. Les négociations de cet accord sont déjà finalisées et des campagnes pour son rejet sont en cours dans les pays concernés par le texte. Sans grande surprise, les dispositions de ces textes s'inscrivent dans la droite lignée de celles combattues dans ACTA, notamment pour le renforcement et la privatisation de la répression en ligne au nom du droit d'auteur. Dans son analyse comparée, l'EDRi constate également l'utilisation de termes laissant craindre une attaque à venir contre le chiffrement des communications dans la version finale de TAFTA.
Tandis que les observateur·rice·s les plus optimistes annoncent un texte final pour la fin de l'année 2016, de nombreuses prises de positions publiques, tant en Europe qu'aux États Unis, trahissent l'inquiétude des institutions face à une mobilisation durable et croissante.
TiSA, pour Trade in Services Agreement, ou Accord sur le Commerce des Services en français, est en cours de négociations depuis mars 2013 – là aussi dans le plus grand secret –, entre les représentant·e·s des 50 pays les plus riches du monde. De nombreux documents fuités ont été publiés et analysés par WikiLeaks.
Commes les accords précédents, TiSA prétend supprimer les « barrières » qui freineraient l'activité économique des multinationales, législations protégeant les droits fondamentaux incluses, par l'adoption de normes irréversibles et ensuite imposées aux autres partenaires commerciaux des pays signataires, notamment les pays émergents n'ayant pas pris part aux négociations. Comme le montre cette publication de l'EDRi, et une fois encore uniquement pour les seuls enjeux numériques, TiSA pourrait lui aussi concerner la vie privée et la neutralité du Net, dans la même logique que les accords précédents, laissant craindre que celui-ci sera tout aussi dangereux pour nos droits et libertés.
Le prochain cycle de négociations de cet accord, le 19ème, devrait avoir lieu du 8 au 18 juillet.
4 ans après le rejet d'ACTA, 18 ans après l'abandon de l'AMI, nous ne pouvons que constater que les critiques adressées à ces accords par les collectifs mobilisés, tant pour leur contenu que pour leur processus d'élaboration, n'ont que peu changées : opacité des négociations, prévalence des intérêts d'une minorité au détriment du plus grand nombre, contournement des législations nationales, organisation de l'impunité des puissants, impossibilité de fait de revenir sur les dispositions des accords, etc.
Vaaaaaaache, ça ne date pas d'hier tout ce bullshit. :O
[...] Quelques temps après la fin de son mandat de commissaire européen, Karel de Gucht a rejoint le Conseil d'administration d'une entreprise ayant participé à des activités de lobbying durant les négociations du TAFTA et directement intéressée par la conclusion de l'accord commercial.
Ceci explique cela… … …
Pour la suite, puisqu'ils ne peuvent de toute façon n'être ni amendés ni renégociés lorsqu'ils sont enfin dévoilés officiellement, nous n'aurons d'autre solution que de nous opposer à ces accords commerciaux dans leur ensemble et que d'appeler les membres des Parlements amenés à s'exprimer à leur sujet à les rejeter.
« On va danser l nazi rock nazi nazi nazi rock nazi »… … …
https://www.laquadrature.net/fr/4-ans-rejet-ACTA-ou-en-sommes-nous-2-2 :
[...] Le second volet, ci-dessous, revient sur 4 ans d'échec politique à adapter le droit d'auteur à l'ère numérique, tant au niveau de l'Union européenne qu'au niveau national, entre avancées marginales et poursuite d'une politique répressive dangereuse et absurde.
Dans la foulée, en décembre 2012, la Commission européenne annonçait le lancement de l'initiative « Des licences pour l'Europe », présentée comme destinée à débattre du droit d'auteur et de sa nécessaire adaptation. Sans grande surprise, les thèmes de ces discussions ne reflétaient que les préoccupations des acteurs majeurs des industries culturelles, dont les membres constituaient l'essentiel des participant·e·s, ne laissant qu'une place dérisoire aux créateur·rice·s, au public et à leurs propositions. À l'issue de 10 mois de réunions, l'initiative se terminait par un constat d'échec lamentable. En parallèle, la Commission européenne persistait à poursuivre son approche répressive du droit d'auteur [...]
Fin 2013, quelques mois avant les élections européennes et le renouvellement de ses membres, la Commission européenne lançait une consultation sur le « futur du droit d'auteur ». Encouragé·e·s par un grand nombres d'organisations militant pour une réforme du droit d'auteur, plus de 11 000 personnes y ont répondu, record historique pour une procédure de ce type. Mais, avant même la publication des résultats de cette consultation, dans un ultime affront, la Commission européenne publie en juillet 2014 « un plan d'action pour lutter contre les atteintes à la propriété intellectuelle ». Reprenant l'extra-judiciarisation de la répression, l'un des pires mécanismes d'ACTA [...]
Début 2015, après les élections et le renouvellement des institutions, la Commission européenne confiait à l'eurodéputée Julia Reda (DE – Verts/ALE), unique élue du Parti Pirate au Parlement européen, le soin de préparer un rapport présentant des pistes pour la réforme du droit d'auteur à partir des réponses à la consultation initiée en 2013. Alors que le programme du Parti Pirate était centré sur la question de la légalisation du partage des œuvres sur Internet, Julia Reda a opté pour une approche plus limitée, mais tout de même positive. Sa proposition visait à élargir les droits d'usage en ligne en renforçant le domaine public et en consacrant de nouvelles exceptions au droit d'auteur. [...] le rapport Reda a déclenché une énorme polémique, du fait de la radicalisation des positions des industries culturelles et des ayants droit. Accrochés à une vision maximaliste du droit d'auteur, ces lobbies en sont arrivés à s'opposer au principe même des exceptions au droit d'auteur, mécanisme d'équilibrage pourtant consubstantiel à celui-ci. Finalement, malgré un fort soutien populaire et les efforts de Julia Reda, c'est un rapport largement détricoté par les eurodéputé·e·s qui a été adopté le 9 juillet 2015. Seules quelques avancées ont subsisté jusqu'au vote final – notamment en faveur de la recherche ou des bibliothèques – mais le rapport a maintenu un statu quo sur l'essentiel.
Dans le même temps, les nouveaux et nouvelles commissaires européen·ne·s ont persisté dans la lignée de leurs aîné·e·s, cherchant à faire appliquer volontairement par les intermédiaires techniques les pires dispositions de l'accord ACTA, sans avoir à risquer une modification du cadre législatif en vigueur. Leur stratégie a été de mettre en place une approche Follow The Money, c'est-à-dire d'assécher les ressources financières des sites centralisés mettant à disposition des œuvres protégées. Pour ce faire, la Commission souhaitait pousser des solutions extra-législatives et extra-judiciaires afin que les hébergeurs et les GAFAM4 agissent d'eux-mêmes pour mettre fin à leur relation avec ces sites. [...]
Au terme de ces multiples atermoiements et reculades, la Commission européenne, plutôt que d'engager le processus de révision de la directive sur le droit d'auteur, a initié une… nouvelle consultation, sur des sujets limités et déjà traités dans la consultation de 2013 ! La Commission a choisi de se focaliser sur la liberté de panorama, une exception déjà largement implémentée au niveau européen – mis à part dans quelques pays particulièrement conservateurs, comme la France – et de mettre sur la table l'idée de créer un nouveau droit voisin au profit des éditeurs, qui verrouillerait encore davantage le système.
Ainsi, au cours des 4 dernières années, la Commission européenne est donc parvenue à détourner de nombreuses énergies collectives et individuelles dans des discussions et consultations intrinsèquement biaisées et destinées à légitimer les décisions qu'elle tente d'imposer depuis des années.
Gros +1.
Au niveau français, la politique menée en matière de droit d'auteur durant cette même période a été très proche de celle de la Commission européenne, l'une et l'autre se nourrissant mutuellement.
Au cours de toutes les procédures et discussions concernant l'accord ACTA, les eurodéputé·e·s français·es ont joué un rôle important, que ce soit pour le soutenir ou pour s'y opposer, et ce jusqu'au vote final ; parmi les 39 voix exprimées en la faveur de l'accord, 21 étaient françaises. Au niveau national, si le candidat à l'élection présidentielle François Hollande appelait au rejet de l'ACTA et promettait l'abrogation de la loi Hadopi5, ses engagements auront rapidement laissé place au plus grand flou, puis au revirement en faveur des ayants droit.
[...]
Publié en mai 2013, le rapport Lescure [ NDLR : incarnation du mélange des genres entre intérêts industriels et médiatiques et réseaux d'amitiés politiques ] préconisait d'écarter la légalisation du partage non-marchand sur Internet et de maintenir la riposte graduée de la loi Hadopi, tout en transférant le contrôle de la haute autorité au CSA. Plusieurs autres mesures répressives étaient mises en avant dans le rapport, comme la généralisation des systèmes de filtrage automatisé des contenus sur les grandes plateformes en ligne. Même si le rapport Lescure conseillait aussi d'engager quelques réformes positives, en faveur de la reconnaissance du domaine public, des usages transformatifs (mashup, remix) ou des licences libres, ces propositions ont été méthodiquement enterrées par le gouvernement. Celui-ci n'a finalement retenu du rapport que sa partie répressive, trahissant définitivement les promesses de François Hollande.
Un an plus tard, c'est cette fois Mireille Imbert-Quaretta (en charge de la riposte graduée à la Hadopi) qui remettait un nouveau rapport au Ministère de la Culture et à la ministre Aurélie Filippetti. À nouveau, celui-ci recommandait la mise en place de mesures très proches de celles de l'accord ACTA, impliquant les intermédiaires techniques pour l'application du droit d'auteur.
Sur la base de ces recommandations, *le Ministère de la Culture a élaboré, d'abord avec les régies publicitaires, puis avec les intermédiaires du paiement en ligne, des « Chartes de bonne conduite », aux termes desquelles ces acteurs s'engagaient à rompre leurs relations avec les « sites contrefaisants ». Cette approche a abouti à l'élaboration, dans le plus grand secret et sans aucun contrôle du pouvoir législatif, de listes noires de sites Internet, en dehors de l'appréciation d'un juge. C'est ce type de montages extra-judiciaires et extra-législatifs que le gouvernement n'aura ensuite de cesse de pousser au niveau européen, en accord avec la Commission**, tout en demandant une réouverture de la directive eCommerce de 2000 pour aggraver la responsabilité des intermédiaires techniques – transposée en droit français dans la LCEN.
La période qui a suivi le rejet d'ACTA n'est cependant pas totalement sombre. Du fait même de la politique répressive absurde auquel il fait face depuis des années, le partage non-marchand des œuvres entre individus a régressé au profit du recours à des plateformes centralisées de Direct Download ou de Streaming. [...]
Qui, pour le coup, sont des sites web qui ont rapporté des milliers et des millions à leurs auteurs (Wawa-Mania, Megaupload, TPB, etc.) grâce à la pub alors que de très rares personnes montaient un véritable business autour du téléchargement P2P (et faisaient l'objet de reportages bullshit à la TV pour expliquer que 100 % des jeunes font de la contrefaçon massive). La répression a eu un effet contre-productif. Pour avoir vécu cette transition, je peux dire qu'elle m'a marquée.
Les « offres légales » développées par les industries culturelles prennent de plus en plus la forme d'abonnements à des offres illimitées en streaming, en contrepartie d'un forfait mensuel (modèle économique des Deezer, Spotify, Apple Music, Google Red et autre Netflix). Au final, ces offres finissent par constituer de véritables « licences légales privées », plus onéreuses pour les consommateur·rice·s, renforçant le pouvoir des intermédiaires, n'assurant pas une juste rémunération aux créateur·rice·s, et bénéficiant largement des politiques répressives menées au nom du droit d'auteur.
Gros +1.
En fin de quinquennat, le gouvernement a lancé deux chantiers législatifs qui ont réouvert le dossier de la réforme du droit d'auteur.
Le premier, la loi « Création », avait pourtant initialement fait l'impasse sur ces questions, revenues par voie d'amendements parlementaires, notamment au sujet de la liberté de panorama. Hélas, des débats houleux et pollués par un déchaînement des représentant·e·s des ayants droit n'auront abouti qu'à une exception quasi-inutilisable et à des atteintes au domaine public. Pire, les assemblées adopteront en fin d'examen du texte un régime de gestion collective obligatoire sur l'indexation des images par les moteurs de recherche, très contestable dans son principe et susceptible d'avoir de graves répercussions pour les créateur·rice·s d'images sous licence libre.
Le second chantier, la loi « République numérique », a donné lieu à une consultation en ligne à laquelle de nombreuses personnes ont contribué, s'exprimant massivement en faveur du logiciel libre, de la défense du domaine public, de l'affirmation des Communs, de la neutralité du Net, du renforcement de la protection des données personnelles, du droit au chiffrement des communications ou de l'open access. Sans grande surprise après les expériences similaires menées par la Commission européenne, ces demandes seront écartées avant même de pouvoir être discutées au Parlement. Le texte final n'apportera que quelques avancées marginales, notamment en faveur du Text et Data Mining pour la recherche. Les autres dispositions concernant la réforme du droit d'auteur, notamment sur la reconnaissance des Communs, n'auront pas survécu à la pression des ayants droit, pourtant incapables d'avancer un argument solide pour affirmer qu'elle leur porterait tort. [...]
Depuis le rejet d'ACTA, les seuls signes clairement positifs en matière de droit d'auteur sont en réalité venus des juridictions de l'Union européenne. [...] Si elle a accepté le principe du blocage judiciaire des sites contrefaisants, la Cour [ de Justice de l'UE ] s'est par contre clairement opposée aux obligations de filtrage généralisé. La Cour Européenne des Droits de l'Homme, de son côté, développe une jurisprudence sur l'équilibre des droits fondamentaux qui rompt avec la vision classique du droit d'auteur où les usages ne sont couverts que par des exceptions limitées. Sur cette base, les usages transformatifs (mashup, remix) pourraient à terme se voir reconnus, au nom de la liberté d'expression.