En attendant que les instituts d’études politiques rendent publiques leurs savantes analyses électorales sur les législatives de juin 2017, les experts électoraux du « Canard » se sont amusés à examiner le report des voix dans certaines circonscriptions. Et leurs découvertes ne manquent pas d’intérêt.
Le premier fait marquant de ces plégislatives est connu mais n’a pas été assez souligné. C’est, en effet, la première fois sous la Ve République que le nombre des abstentionnistes a été supérieur, au premier comme au second tour, à celui des votants. Si l’on ajoute aux abstent1onmstes les électeurs qui ont voté blanc ou nul c’est plus de 61 % du corps électoral qui, le 18 juin, a refusé de se prononcer pour un candidat. Ce phénomène réjouissant pour la démocratie s’est amplifié au second tour, privant sans doute les « marcheurs » d’une victoire encore plus éclatante.
Le second fait frappant est la confirmation d’une réelle perméabilité entre une partie de l’électorat FN et celui de La France insoumise. C’est particulièrement visible dans un certain nombre de bureaux de vote qui, traditionnellement, constituaient pour le PCF et même le PS des fiefs et qui comptent aujourd’hui un pourcentage de chômeurs bien supérieur à la moyenne nationale.
L’exemple de la 1re circonscription de la Somme est, à ce sujet, édifiant. Le désormais célèbre François Ruffin, journaliste et auteur du film à succès « Merci patron! », y a été élu, à la surprise générale, avec 55,97 % des voix, alors qu’il était en ballottage très défavorable.
Rappel des résultats : au premier tour, le candidat LRM recueille 13 394 suffrages, contre 9 545 à Ruffin, qui rerésente LFI, le FN étant éliminé ; au second tour, Ruffin l’emporte avec 19 329 voix, contre 15 205 pour LRM. Le candidat mélenchoniste a donc plus que doublé son score, avec un gain de 9 784 voix, alors que LRM n’a engrangé que 1 811 suffrages.
Or, si l’on additionne au score de Ruffin toutes les voix que celui-ci pouvait raisonnablement espérer (PS, LO, extrême gauche, plus un peu de LR a la margee) on arrive à un total proche de 13 400. Il en a raflé 6 000 de plus. Lesquelles ne peuvent venir, pour une bonne part, que des 6 255 électeurs qui ont voté FN au premier tour et des 623 électeurs de Debout la France.
Et/ou, comme l'expose le numero 81 de Fakir, les voix supplémentaires ont été obtenu au terme d'une longue et intense campagne de terrain misant sur le populisme de gauche.
Vases communicants
Même s’il est moins accentué, un phénomène identique se répète dans 12 circonscriptions au moins : Allier (1re), Bouches-du-Rhône (13e), Hauts-de-Seine (1re), Nord (1re, 2e), Puy-de-Dôme (5e), Seine-Maritime (3e, 6e, 8e) et Seine-Saint-Denis (4e, 11e). Dans toutes ces circonscriptions, le nombre de voix obtenues par LFI ou le PCF au second tour est très largement supérieur aux réserves des voix de gauche et d’extrême gauche. Comme il est difficile de croire que les abstentionnistes ainsi que les électeurs de droite ont voté en grande masse, au second tour, en faveur d’un candidat LFI ou PCF, il ne reste qu’une hypothèse crédible : un nombre significatif d’électeurs qui avaient choisi au premier tour le candidat de l’extrême droite se sont reportés au second sur le candidat de l’extrême gauche et ont permis son élection.
Le mouvement inverse - électeurs LFI et PC filant au second tour vers le FN - peut également être observé dans plusieurs régions. Il est particulièrement visible dans six circonscriptions, dans le Nord (19e), le Pas-de—Calais (3e, 10e, 11e, 12e) et les Pyrénées-Orientales (2e).
Dans ces circonscriptions, c’est l’apport des voix venues des candidats LFI et PC qui a très probablement provoqué l’élection de six députés FN (sur les huit que compte le parti de Marine Le Pen).
Conclusion : le Parti communiste et La France insoumise, d’une part, le Front national, d’autre part, s’affirment comme antagonistes irréductibles, mais une partie de leur électorat est engagée dans un flirt poussé, partageant sans doute le même appétit pour la radicalisation, le « dégagisme », la fibre nationaliste et le refus de Bruxelles.
Ainsi, les élections législatives de juin ont vu la naissance d’un électorat éclectique, qui a souri aux Marcheurs. Et d’un autre électorat qui, dans la France du Nord et de l’Est, à forte proportion ouvrière, et dans le Midi méditerranéen, un dimanche vote FN et, la semaine suivante, vote pour le PCF ou La France insoumise. Ou vice versa.
Dans le Canard enchaîné du 6 septembre 2017.